Arrivé de la Réunion, Steven a rejoint l’usine d’ArcelorMittal, à Eisenhüttenstadt, pour un apprentissage chez le géant de l’acier, qui peine à attirer les jeunes.
Le secteur est l’un des plus touchés par les pénuries de travailleurs qualifiés qui frappent la première économie européenne et deviennent une hypothèque majeure pour son avenir. Face à ce défi, le gouvernement d’Olaf Scholz a présenté hier un projet de loi visant à assouplir les règles d’obtention de visa et permis de travail pour les ressortissants de pays hors UE. Il ne sera par exemple bientôt plus nécessaire de présenter un contrat de travail pour s’installer dans le pays, ceci devant être remplacé par un système de points mesurant le «potentiel» d’intégration des candidats, sur le modèle de ce que pratique déjà le Canada.
L’objectif est d’attirer davantage de salariés. Berlin va ainsi à rebours de la tendance générale en Europe d’une fermeture des frontières à l’immigration. «Nous veillerons à faire entrer dans le pays les travailleurs qualifiés dont notre économie a un besoin urgent depuis des années», a déclaré la ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, en présentant le projet de loi qui doit encore être adopté par les parlementaires. Le nouveau système «supprimera les obstacles bureaucratiques» et «permettra aux travailleurs qualifiés de venir rapidement en Allemagne et de pouvoir commencer» à travailler, a-t-elle assuré.
Pour Steven Maillot, 23 ans, c’est un meilleur salaire et de meilleures perspectives de carrière qui l’ont décidé à quitter son île pour cette ville proche de la frontière polonaise. Un soulagement pour ArcelorMittal, dont le responsable pour l’Allemagne, Reiner Blaschek, reconnaît qu’il est «de plus en plus difficile» d’attirer de jeunes stagiaires comme lui. La pénurie de travailleurs qualifiés est devenue un véritable casse-tête. Deux millions de postes sont actuellement vacants en Allemagne, alors que la génération des baby-boomers part massivement en retraite. À cause du vieillissement de la population, le marché du travail devrait perdre sept millions de personnes d’ici 2035 si le gouvernement ne fait rien, selon une étude de l’Institut de recherche sur le marché du travail. Tous secteurs confondus, 44 % des entreprises allemandes interrogées par l’institut Ifo disent avoir été touchées par des pénuries de main-d’œuvre en janvier.
Le plus dur reste à venir
Face à cette situation critique, le chancelier a encouragé les salariés à ne pas prendre de retraite anticipée. Toutefois, le recours à la seule population allemande ne suffira pas pour combler le déficit, a averti Olaf Scholz au Parlement au début du mois. Les industriels tentent de répondre eux-mêmes au défis des pénuries en proposant leurs propres formations aux étrangers. La ville nouvelle d’Eisenhüttenstadt (littéralement «ville de l’usine sidérurgique») a été construite dans les années 1950 du temps de l’Allemagne de l’Est communiste. ArcelorMittal y emploie 2 700 personnes et accueille chaque année une cinquantaine de nouveaux stagiaires comme Steven Maillot. «Pour mon parcours professionnel, je dois rester ici», explique-t-il dans l’usine, bien loin de la Réunion.
Une formation adéquate est importante pour éviter que «les jeunes ne nous filent entre les doigts», insistait le ministre du travail, Hubertus Heil, lors d’une récente visite où il a rencontré des apprentis. Mais il est particulièrement difficile de trouver des candidats dans l’est de l’Allemagne, en raison de revenus plus faibles qu’à l’Ouest et d’une réputation moins hospitalière.
La pénurie pourrait aussi «entraver les missions de transition importantes» en Allemagne vers «l’électromobilité ou les énergies renouvelables», a averti Achim Dercks, directeur adjoint des chambres de commerce allemandes, au début de l’année. ArcelorMittal prévoit par exemple de remplacer un haut-fourneau fonctionnant aux combustibles fossiles sur le site allemand par une nouvelle unité à l’hydrogène et à l’électricité d’ici à la fin 2026. Le passage à des processus de production plus écologiques entraînera la suppression de certains emplois, mais en créera de nouveaux qu’il faudra pourvoir. «Nous sommes confrontés à un changement technologique majeur», relève Reiner Blaschek. «Si nous voulons convertir nos installations dans les quatre prochaines années, nous devons commencer à modifier notre formation dès maintenant.»