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Partie de cache-cache avec les gaz à effet de serre


Le monde tente de trouver les moyens imaginables pour combattre les émissions de CO2.  (Photo : afp)

Rien ne semble pouvoir arrêter les hausses d’émissions de CO2 dans l’atmosphère. Des méthodes pour les stocker ou l’éliminer une fois dans l’air sont à l’étude.

Le retard pris par l’humanité pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, qui ont battu un nouveau record en 2023, a propulsé sur le devant de la scène des technologies d’élimination et de stockage du CO2 de l’atmosphère pour tenter de limiter le réchauffement climatique. Deux familles de méthodes différentes et parfois confondues existent : d’une part, le captage et le stockage du carbone (CCS, en anglais) et, d’autre part, le captage direct dans l’air (DAC, en anglais), aussi appelé élimination du carbone.

Faut-il empêcher le carbone de «polluer» l’atmosphère ou bien la «nettoyer» une fois que le mal est fait? Tels sont les deux rôles distincts du CCS et du DAC. Le CCS capte en sortie d’usines (centrales électriques, cimenteries, hauts fourneaux…) le carbone émis par la combustion des énergies fossiles ou par les procédés industriels avant qu’il ne parte dans l’atmosphère. Le DAC extrait lui le CO2 déjà présent dans l’air, via de grands ventilateurs et des procédés chimiques.

La technique permet ainsi de comptabiliser des «émissions négatives» dans le bilan carbone des entreprises ou des pays qui s’en servent, à condition que le CO2 capturé soit stocké de manière permanente, par exemple dans des réservoirs de pétrole et de gaz épuisés ou dans des aquifères salins. Les molécules de CO2 présentes dans l’air y sont toutefois bien plus diluées – 420 parties par million (ppm), soit environ 0,04 % – qu’à la sortie d’une cheminée d’usine, ce qui rend la technique énergivore et coûteuse. Dans les deux cas, le CO2 capté peut être stocké définitivement ou bien réutilisé pour fabriquer des matériaux de construction ou du carburant d’aviation. Mais la réutilisation signifie un retour inévitable dans l’air et ne peut plus être comptabilisée comme une élimination.

Des investissements massifs

L’industrie des énergies fossiles utilise le CCS depuis les années 1970… mais pas pour empêcher le carbone de s’infiltrer dans l’atmosphère. À l’origine, ce procédé leur servait plutôt à injecter le CO2 dans des champs anciens pour en extraire du pétrole difficilement accessible. Mais la crise climatique et les subventions publiques ont ravivé l’intérêt des industries fossiles pour l’utiliser dans la réduction des émissions, même si cela reste peu rentable.

À la fin de l’année 2023, 40 entreprises commerciales dans le monde appliquaient cette technologie, captant un total de 45 millions de tonnes (Mt) de CO2, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Soit environ 0,1 % des émissions annuelles mondiales. L’élimination du carbone (DAC) est plus récente. Moins de trente installations l’utilisent dans le monde, capables d’extraire environ 10 000 tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de 10 secondes d’émissions mondiales.

Pour atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici 2050, le CCS devra empêcher 1,3 milliard de tonnes d’émissions de CO2 par an d’ici 2030, soit 30 fois plus qu’actuellement, estime l’AIE. Quant au DAC, il devra extraire 60 millions de tonnes de CO2 par an d’ici là, des milliers de fois plus qu’aujourd’hui. Si cela semble hors de portée, les développements récents laissent entrevoir un espoir : au moins 130 projets sont en cours de développement, selon l’AIE, et la première usine capable de capter jusqu’à un million de tonnes par an doit entrer en service aux États-Unis en 2025.

«Un défi énorme»

«C’est un défi énorme, mais il n’est pas sans précédent», dit Gregory Nemet, professeur à l’université du Wisconsin, rappelant l’essor spectaculaire du solaire en quelques décennies. Reste la question du stockage : la préparation d’un site peut prendre jusqu’à 10 ans, un frein non négligeable Le CCS coûte 15 à 20 dollars par tonne lorsque les émissions de CO2 sont très concentrées, et 40 à 120 dollars par tonne pour des flux plus dilués, comme dans la production électrique. Côté DAC, les coûts sont plus élevés, de 600 à 1 000 dollars par tonne de CO2. Mais ils devraient chuter vers 100 à 300 dollars par tonne d’ici à 2050, selon le rapport State of Carbon Dioxide Removal.

De récentes lois aux États-Unis et au Canada misent sur les crédits d’impôts pour inciter les entreprises à investir, tandis que Corée du Sud et Chine investissent massivement. Une usine visant à capter 500 000 tonnes de carbone par an vient d’ouvrir dans la province chinoise de Jiangsu. Le Canada a prolongé un crédit d’impôt à l’investissement qui réduit de moitié le coût du CSC. Aux États-Unis, l’Inflation réduction act (IRA) prévoit des milliards de dollars de crédits d’impôt pour le CSC.

L’Europe n’est pas en reste, avec un véritable «cimetière de CO2» qui se développe en mer du Nord. Pour le DAC, de nombreuses grandes entreprises – Alphabet, Shopify, Meta, Stripe, Microsoft et H&M – prévoient de verser près de 1 milliard de dollars pour le «retrait permanent» du carbone d’ici 2030. Au début du mois, Climeworks, pionnier du DAC basé en Suisse, a annoncé un accord de vente de crédits d’émission de carbone à deux compagnies aériennes, Swiss et Lufthansa.