Roberto Azevedo quitte ce lundi la tête de l’Organisation mondiale du commerce en laissant une institution en crise et sans capitaine. Une situation qui pourrait s’éterniser en raison des élections américaines, selon des experts.
En plein marasme économique mondial causé par la pandémie de Covid-19, plusieurs chantiers de taille attendent le futur patron de l’OMC : préparer la conférence ministérielle de 2021, relancer les négociations et dénouer les conflits opposant l’organisation aux États-Unis. Washington, s’estimant « inéquitablement » traité par le gendarme du commerce mondial, a menacé de quitter l’organisation, dont il réclame la refonte, et paralyse depuis décembre le tribunal d’appel de son organe de règlement des différends.
« Les États-Unis veulent que le prochain directeur général partage les préoccupations américaines, dont beaucoup concernent la Chine. Étant donné que le directeur général est choisi par consensus, cette position ferme complique la sélection », pointe le professeur en relations internationales Manfred Elsig, du World Trade Institute à Berne. « Il se pourrait bien que de nombreux membres de l’OMC veuillent attendre après l’élection, en espérant que l’administration change », estime-t-il.
Mi-mai, le Brésilien avait annoncé à la surprise générale qu’il quitterait ses fonctions un an avant la fin de son mandat pour « raisons familiales ». Les candidats à sa succession ne manquent pas : ils sont au nombre de huit, dont trois Africains, deux Européens, deux Asiatiques et un Latino-Américain. Mais les vives tensions internationales et la politisation croissante des élections à la tête des organisations internationales risquent de compliquer le processus de désignation du successeur de M. Azevedo.
Un enjeu très politisé
L’OMC doit mener du 7 au 16 septembre une première série de consultations – appelées « confessionnaux » – avec chacun des membres afin d’éliminer les trois candidats les moins bien placés pour recueillir un appui consensuel. Deux autres séries de consultations suivront, vraisemblablement en octobre et novembre. Or l’incapacité des pays membres à s’entendre fin juillet pour désigner un directeur intérimaire a montré « la politisation de cet enjeu », note une source proche du dossier.
« La question est de savoir jusqu’où certains pourraient être prêts à aller, par exemple en bloquant un candidat accepté par le reste des membres », s’inquiète un diplomate occidental. Après le départ de M. Azevedo, un des quatre directeurs adjoints de l’OMC – un Américain, un Allemand, un Nigérian et un Chinois – devait assurer l’intérim. Mais Washington et Bruxelles n’ont pas réussi à s’entendre.
Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques Delors, note que « le veto américain » à la nomination de l’Allemand, qui était soutenu par la plupart des pays, est d’abord lié à la volonté du président Donald Trump « de durcir le rapport de force avec l’Union européenne (…) à la veille des élections ». « Une telle concession, y compris seulement pour l’intérim, aurait été trop importante. Mais il faut aussi envisager que Washington n’exclue pas que la période intérimaire puisse être plus longue que prévue, et n’ait pas voulu installer un Européen dans la place », analyse-t-elle.
L’attitude des États-Unis, la grande inconnue
« Il est difficile de mesurer le pouvoir de nuisance des États-Unis par rapport au processus, de savoir à quel point ils peuvent vraiment le parasiter, le perturber, à quels points ils le veulent aussi. Je crois que cela reste une grande inconnue », abonde Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales. « On a le sentiment que les Etats-Unis vont probablement rester assez passifs et montrer assez peu de bonne volonté d’ici le 3 novembre. Certains parlent même d’attente jusqu’à la prise de fonction, le 20 janvier » du président américain, relève-t-il.
Alors que le processus de désignation du prochain patron de l’OMC n’a jamais été aussi politisé, certains n’excluent désormais plus de recourir au vote, ce qui serait une première. En 1999, lorsque les pays n’avaient pas réussi à se mettre d’accord, ils avaient préféré désigner deux directeurs, chacun disposant d’un court mandat de trois ans.
Un compromis qui, au vu de la tâche colossale qui attend le successeur de M. Azevedo, n’est pas du goût de l’expert Manfred Elsig : « Une personne dont le mandat est court risque d’être perçue comme un canard boiteux dès le début ».
LQ/AFP