L’ONG fustige les importations d’uranium naturel en provenance du Kazakhstan et d’Ouzbékistan pour la filière nucléaire française. L’implication du géant russe Rosatom serait clairement établie.
Le gouvernement français n’a pas tardé à réfuter l’argumentation de Greenpeace, assurant que le «pays ne dépend en aucune manière de la Russie pour le fonctionnement de son parc électronucléaire» et «a su diversifier ses sources d’approvisionnement».
En 2022, année de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, «près de la moitié de l’uranium naturel importé en France provenait du Kazakhstan et d’Ouzbékistan», 43 % exactement, a souligné Greenpeace dans un rapport publié en amont du début de l’examen par l’Assemblée nationale à Paris d’un projet de loi visant à accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires.
Or, selon l’ONG, «la quasi-totalité de l’uranium naturel en provenance du Kazakhstan et une partie considérable de celui venant d’Ouzbékistan passent entre les mains (NDLR : du monopole russe du nucléaire civil) de Rosatom qui contrôle le transport de toutes les matières nucléaires transitant sur le sol russe», via des convois ferroviaires jusqu’au port de Saint-Pétersbourg, puis des cargos jusqu’en France. Des routes évitant le territoire russe «ne représentent aujourd’hui pas de véritables alternatives», ajoute le rapport.
«Impact modeste» des sanctions
Le texte de 99 pages s’appuie sur des données publiques (douanes, publications d’entreprises, d’organisations publiques, d’ONG, de groupes de réflexion et de médias). L’uranium naturel, extrait des mines, doit être enrichi pour être utilisé comme combustible dans les centrales nucléaires. La France dispose d’une usine dédiée au Tricastin (Drôme), gérée par Orano.
Greenpeace avait déjà qualifié de «scandaleuse» la poursuite du commerce nucléaire avec la Russie, secteur qui n’est pas visé par des sanctions internationales, contrairement aux hydrocarbures. L’organisation avait en particulier relevé que la France avait reçu de la Russie «un tiers de l’uranium enrichi nécessaire au fonctionnement des centrales nucléaires françaises pendant un an», un triplement en 2022, selon elle. «Toujours en 2022, l’intégralité des exportations françaises d’uranium de retraitement (URT) ont été envoyées en Russie, et l’intégralité des importations d’uranium ré-enrichi (URE) en France provenaient de Russie», selon la même source.
«Contrairement à ce qu’affirment les défenseurs de l’atome, la dépendance de la filière nucléaire française aux autorités russes est immense, ce qui pourrait expliquer pourquoi la France continue de s’opposer activement aux sanctions contre Rosatom au niveau européen», a affirmé Greenpeace samedi.
Mais selon le cabinet de la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, la France «ne se fournit pas en Russie pour son approvisionnement en uranium naturel ou la préparation du combustible, comme cela est sous-entendu à tort par Greenpeace. C’est une différence qu’a notre pays avec certains de ses voisins européens».
«S’agissant des sanctions contre la Russie, la position française sur ce sujet est constante : les sanctions doivent avoir un impact sur l’économie du pays visé. Des sanctions sur la filière nucléaire généreraient un impact modeste sur la Russie», selon la même source. «À l’inverse, la résiliation des derniers contrats subsistants qui portent sur le retraitement de combustibles générerait des indemnités plus avantageuses pour la Russie que leur poursuite a minima», a plaidé le cabinet.
EDF se défend à son tour
De son côté, EDF (Électricité de France) a dit «maximise(r) la diversification de ses sources géographiques et de ses fournisseurs» en combustible nucléaire : «nous ne sommes dépendants d’aucun site, d’aucune société et d’aucun pays». L’opérateur français, qui oppose le «caractère confidentiel» du détail de ses approvisionnements, «applique strictement toutes les sanctions internationales et/ou les restrictions liées à la non-obtention d’autorisations administratives requises, tout en respectant les engagements contractuels pris», a ajouté la société.
EDF a souligné n’avoir «acheté aucun uranium naturel extrait de mines russes ni de services de conversion de l’uranium naturel en Russie en 2022», ni «augmenté sa part d’enrichissement de son uranium naturel non russe réalisé en Russie en 2022 par rapport à 2021».
Les fissures pourraient
impacter le vote de la loi «EPR»
L’Assemblée nationale française s’attaque aujourd’hui au projet de loi visant à accélérer la construction, à l’horizon 2035, de six nouveaux réacteurs nucléaires de type «EPR». L’examen du texte promet d’être plus agité que prévu sur fond de controverses sur la sûreté nucléaire.
Des contrôles ont permis de détecter la présence de «fissures de fatigue thermique» sur des conduites d’urgence «considérées comme sensibles à la corrosion sous contrainte» dans le réacteur 2 de la centrale nucléaire de Penly (nord) et – plus préoccupant pour le Luxembourg – dans le réacteur 3 de la centrale de Cattenom.
Le gouvernement français mise sur la technicité du texte et le traditionnel soutien de la droite à l’atome pour une adoption du projet de loi sans trop de difficultés, dans le sillage du très large vote du Sénat fin janvier.