Le seul port du Luxembourg est aussi la seule plateforme logistique qui combine transport ferroviaire, routier et fluvial. De lourds investissements sont réalisés pour maintenir à flot ce secteur, face à une concurrence acharnée.
Imaginons le pire. Du jour au lendemain, le port de Mertert disparaît du paysage. Volatilisé. Quelles conséquences pour le Grand-Duché ? L’idée fait sourire Jeannot Poeker, bien qu’il y réponde très sérieusement : «Ce port a été construit pour les activités sidérurgiques du pays. Il est donc très important pour ArcelorMittal : à l’import pour la ferraille, à l’export pour ses produits finis.»
Ce n’est pas tout : le port aménagé sur la rive gauche de la Moselle sert aussi au préassemblage de marchandises, avant leur transport fluvial. «Car il existe des produits qui ne peuvent être exportés autrement que par nous. Vu leur taille, cela ne passerait pas par camion ou par train», poursuit le président de la Société du port de Mertert. La série noire continue : avec la disparition du port, le Grand-Duché voit ses réserves d’or noir diminuer : «Une autre de nos activités phares est l’import de produits pétroliers, qui sont importés ici presque à 100% par bateau. Car c’est le plus écologique et le plus sûr des moyens pour importer ces produits.»
Vous l’aurez compris, ce scénario de science-fiction a pour but de montrer à quel point le port de Mertert a un rôle vital pour le Grand-Duché. Car il est non seulement le seul port du pays, mais aussi le seul centre logistique trimodal, car il combine transport fluvial, ferroviaire et routier.
Des bateaux toujours plus gros
Fondé il y a un demi-siècle afin de développer le transport sidérurgique et pétrolier, le site a fait depuis du chemin. «On est en train de diversifier nos activités, au-delà de ces deux produits historiques. Depuis 2015 par exemple, on a une activité de transport de conteneurs. On a aussi une activité concernant des segments préfabriqués pour construire des éoliennes.» Là encore, la route fluviale s’avère être la plus judicieuse : «Ces segments d’éoliennes pèsent 50 à 60 tonnes, et sont imposants. Cela encombrerait considérablement les routes.» La modernisation récente du site s’inscrit dans la stratégie de diversification économique du pays, qui mise sur le développement de ce secteur : «Au Luxembourg, on investit beaucoup dans la logistique. C’est le cas aussi ici. L’État a investi une vingtaine de millions d’euros les dix dernières années dans les infrastructures portuaires, car elles dataient de 50 ans. Rien que dans les infrastructures ferroviaires, 9,5 millions d’euros ont été investis pour maintenir en activité le réseau qui fait quand même 18 km !»
Et cela va continuer : 5 à 6 millions d’euros seront engagés dans le port au cours des prochaines années. «On va notamment élargir une zone où les bateaux font demi-tour. Car elle a été construite à l’époque où les bateaux faisaient une centaine de mètres, or maintenant on a des bateaux de 135 m. On va aussi réaliser une passe pour les poissons, pour qu’ils puissent remonter la Syre, et on va construire une petite station pour faire de l’électricité…», annonce Jeannot Poeker.
Mais il y a un hic : le port commence à être un peu à l’étroit. «Pour l’instant, on a la place nécessaire. Mais c’est vrai que le site est entouré par les vignobles, la route, des localités de part et d’autre (Mertert et Grevenmacher), la Moselle et l’Allemagne de l’autre côté. C’est pourquoi on recherche une collaboration plus intense avec la plateforme bimodale de Bettembourg, qui est la deuxième plateforme du pays, et qui va être élargie.»
Une navette ferroviaire permanente sera mise en place entre le site de Bettembourg, dont les travaux d’agrandissement sont en cours, et le port de Mertert. L’idée de ce trait d’union, explique Jeannot Poeker, est de faire considérer les deux plateformes comme une «plateforme virtuelle unique».
Les dérapages du transport routier
Car si le port de Mertert est déjà devenu important grâce à la localisation stratégique du pays dans la Grande Région, il doit aussi se développer : «On veut intégrer davantage le port de Mertert dans les flux internationaux.»
Mais certains atouts peuvent aussi devenir des inconvénients : la petitesse du territoire et le transit historiquement à dominante routière «ne font qu’accroître les difficultés à rendre attractive la voie fluviale. Le problème, c’est que le transport routier est toujours moins cher, le dumping social fausse la concurrence. Et en plus, le prix du carburant a baissé. C’est pour cela qu’on a besoin de subventions.»
Grâce aux aides au transport combiné, mises en place par le gouvernement pour l’exercice 2015-2018, c’est désormais chose faite. Optimiste, donc, pour l’avenir ? «Oui, on a un appui à 100% du gouvernement, François Bausch (NDLR : le ministre du Développement durable et des Infrastructures) fait bien avancer les dossiers. Le Luxembourg mise sur la multimodalité, qui est un grand atout, car elle propose un moyen logistique plus écologique, donc du futur.»
Romain Van Dyck
Des dépôts… et des plaintes
«Non à l’extension des réservoirs, oui à la qualité de vie pour les citoyens.» En mars 2015, plus de 400 personnes manifestaient contre l’extension des stocks pétroliers sur le port de Mertert. En vain : «Le projet fait son chemin. Actuellement, le dépôt a une capacité de 61 000 m3. L’extension pour 90 000 m3 supplémentaires est planifiée, l’étude d’impact environnemental va être déposée sous peu», rapporte Jeannot Poeker.
Et de rappeler que le port «offre ces possibilités de stockage depuis 1967, sachant que le transport navigable est le plus écologique et sûr, donc c’est bien naturel que cette extension se fasse. Rapporté au tonnage, le fluvial emploie environ un sixième du carburant consommé par les camions. Au vu de nos capacités actuelles, ça fait 12 000 camions en moins sur les routes !»
Quelques chiffres
En Europe
En 2005, en Europe, un peu plus des trois quarts (76,5%) du transport intérieur de marchandises étaient réalisés par route, moins d’un cinquième (17,6%) par chemin de fer et le reste (5,9%) par voie navigable intérieure.
Un transport plus écologique
«Le transport multimodal est une vraie réponse au transfert modal, en sachant que les flux de marchandises sont responsables de plus de 40% des émissions de CO2 du secteur des transports et de plus de 10% des émissions totales», rappelle Jeannot Poeker.
Trafic en hausse
Le trafic global du complexe portuaire a atteint en 2015 1 260 488 tonnes (contre 1 211 680 tonnes en 2014, soit une augmentation de 4,03%). Le trafic sidérurgique a lui atteint un tonnage de 179 883 tonnes. Environ 300 personnes sont employées sur le site.