Le Luxembourg n’a pas de mer, mais il a su malgré cela s’imposer comme un acteur important de la marine marchande.
Le Grand-Duché ne possède aucune côte, pourtant des navires traversent les sept mers depuis trois décennies en arborant le pavillon luxembourgeois.
Bien loin des flottes séculaires voire millénaires de certains de ses voisins européens, c’est en 1990 seulement que le Luxembourg décide de se lancer dans le secteur maritime, son économie reposant alors trop sur la seule finance et les services. «Les navires représentent un investissement relativement important (NDLR : jusqu’à plusieurs centaines de millions d’euros parfois), donc c’était une opportunité pour les banques d’avoir une activité dans ce domaine», explique Robert Biwer, le commissaire du gouvernement aux Affaires maritimes.
Et ça tombe bien, à la même époque, la Belgique revoyait alors sa législation et les armateurs belges ont été invités à se rapprocher du Luxembourg le temps que la taxe au tonnage (sorte d’aide d’État) soit mise en place afin de lui permettre de rester compétitive.
Le Prince-Henri, un chimiquier-pétrolier d’une société luxembourgeoise, sera le premier navire immatriculé au Luxembourg, puis «pratiquement toute la flotte de la marine marchande belge est venue sous pavillon luxembourgeois», rappelle Robert Biwer.
Pas de grands pétroliers
Aujourd’hui, 217 navires sont inscrits au registre luxembourgeois, ce qui représente une jauge brute de 1,41 million de tonnes. On compte entre autres 63 avitailleurs (107 600 tonnes) et 42 dragues (451 151 tonnes). L’âge moyen de la flotte est de 11,5 ans.
Ce ne sont que des navires destinés à des pratiques commerciales, nullement à des manœuvres militaires ou à un usage privé. Une trentaine de yachts figurent également sur le registre. Mais «ces derniers sont également destinés à une exploitation commerciale et doivent donc faire l’objet d’un contrat de location. De fait, même si le propriétaire est une personne privée et qu’il veut utiliser lui-même son yacht, il doit le louer à un prix adapté au marché», souligne Robert Biwer.
Si les Affaires maritimes luxembourgeoises ne portent pas de regard sur les marchandises transportées par ses navires, «une décision politique» impose toutefois de ne pas accepter de grands pétroliers au sein de sa flotte, comme l’explique le commissaire Biwer : «Le Luxembourg n’ayant pas de côte, nous ne voulons pas qu’un navire sous pavillon luxembourgeois puisse être en cas de problème responsable d’une pollution des côtes d’un autre pays.»
Exit donc les supertankers qui peuvent transporter jusqu’à 400 000 tonnes de pétrole brut. «Nous avons des navires pétroliers dont le plus grand doit faire entre 40 000 et 50 000 tonnes. Ils transportent des produits semi-raffinés ou raffinés. Et lorsqu’il y a du pétrole brut, c’est en petite quantité.»
D’autres critères entrent également en compte pour se voir attribuer le pavillon luxembourgeois. Notamment l’âge du navire. Celui-ci ne doit en effet pas avoir plus de 15 ans (à partir de la date de la pose de la quille). «Nous voulons des navires modernes et efficaces. Et moins polluants aussi», explique Robert Biwer. Le ministre de l’Économie (à la tête des Affaires maritimes) peut néanmoins accorder une dérogation, sur la base d’un dossier technique, si le vaisseau a été entièrement refait par exemple.
Surtout, le Luxembourg exige qu’il y ait un lien substantiel entre le navire et le Grand-Duché : des structures ou des succursales de l’armateur ou du propriétaire doivent être basées sur le territoire, et une partie de la gestion du navire doit s’y effectuer.
«Ainsi, tous les certificats et autres documents que nous émettons pour les navires ne sont pas envoyés, les personnes concernées doivent venir les chercher», illustre Robert Biwer. «Une présence physique est donc assurée par le dirigeant maritime, qui doit résider à Luxembourg ou dans la région frontalière pour être en mesure de venir théoriquement tous les jours au Luxembourg.»
Si les critères sont remplis, il en coûtera alors entre 2 000 et 25 000 euros par an (la taxe d’immatriculation est calculée en fonction de l’âge et du tonnage du navire) pour arborer le drapeauau lion rouge. Une taxe qui a permis d’apporter plus de 810 000 euros au Luxembourg l’an passé.
De nombreux avantages pour les armateurs
Un prix qui n’effraie en rien certains armateurs, le pavillon luxembourgeois présentant en effet plusieurs avantages. Tout d’abord, il rassure les banques européennes, qui sont alors plus enclines à investir. Et puis, le mouvement libre des biens et des personnes au sein de l’UE facilite également beaucoup le commerce.
De plus, si le Luxembourg n’est pas le moins cher («Malte et Chypre sont certainement moins chères que nous», fait savoir Robert Biwer), il reste compétitif par rapport à d’autres pays européens, notamment en termes de flexibilité : «Vu que nous n’avons pas de secteur maritime traditionnel, il n’y a pas de secteurs à protéger ni de marins à placer. On peut donc accepter les marins de tous les pays, contrairement à certains pavillons européens dont l’administration exige que des nationaux soient placés à certains postes du navire.»
La taille du pays joue enfin en sa faveur : «Notre administration est une structure relativement petite [NDLR : 16 personnes travaillent aux Affaires maritimes], la main gauche sait ce que la main droite vient de faire. Du coup, on est cohérents, efficaces et rapides dans nos réponses», explique Robert Biwer.
Mais si le Luxembourg peut immatriculer des navires, il peut aussi en radier, même si la manœuvre est rarissime, car difficile en raison des hypothèques soulevées. Une alternative à la radiation reste la mise à quai, là encore très peu fréquente («un seul cas en sept ou huit ans»).
«Nous pouvons l’exiger pour mener une enquête lorsque des marins nous informent ne pas avoir été payés pendant plusieurs mois», cite comme exemple Robert Biwer. «Mais dans ce cas, ils peuvent aussi alerter le port dans lequel ils se trouvent, et c’est alors l’État du port qui peut arrêter le navire et qui va ensuite demander notre aide.»
D’autres sanctions existent avant une mise à quai. Notamment une inspection, en sus de l’inspection technique et sociale quasi annuelle menée à bord de chaque navire.
Une inspection annuelle
«On prévient le capitaine de la visite d’un inspecteur, car il doit avertir ses clients d’un possible retard de livraison. Il doit nous informer du prochain port où il accoste – nous avons des accords avec des inspecteurs dans le monde entier – pour que nous en envoyions un à bord.»
Un manque à gagner incontestable pour l’armateur. Car outre la perte de temps induite (et donc d’argent) et les éventuelles sanctions financières qui risquent d’en découler, c’est aussi lui qui doit payer l’inspecteur (1 300 euros) ainsi que ses frais de déplacement, via les Affaires maritimes.
«Il n’y a pas de contrat direct entre l’armateur et l’inspecteur, afin de préserver l’indépendance du contrôle mais aussi garantir un tarif unique de l’inspection», prévient Robert Biwer. Les prix varient en effet fortement d’une région à l’autre du globe, et certains pourraient être tentés d’aller au moins cher. «Le secteur maritime était un secteur globalisé avant même que le mot n’existe!», ironise le commissaire.
Les Affaires maritimes n’exercent pas non plus de contrôle en termes de destination des navires. «Les limitations ne sont pas fixées par nous», rappelle Robert Biwer, «mais s’il y a un embargo quelque part, les navires sous pavillon luxembourgeois doivent le respecter». L’administration luxembourgeoise peut d’ailleurs vérifier à tout moment la position de ses navires via un système par satellite.
Par contre, elle a eu à intervenir il y a quelques années dans le cadre de prises d’otage, notamment au Nigeria en 2012. «Nous avons alors joué un rôle un peu plus actif», rappelle Robert Biwer.
«C’était surtout l’armateur qui s’occupait des négociations avec les pirates, mais nous nous sommes chargés de faciliter les travaux de contact avec les autorités locales. Il est en effet plus facile pour un pays d’entrer en contact avec les autorités nationales d’un autre État pour des mesures de sécurité, de parler de gouvernement à gouvernement. Il y a régulièrement des attaques de pirates, mais elles ont repris de plus belle après 2010.»
L’influence du secteur maritime luxembourgeois en termes de géopolitique reste toutefois assez minime, reconnaît sans problème Robert Biwer. «Notre flotte nous met un peu sur la carte du monde dans un secteur où on ne l’était pas auparavant. Il faut dire qu’on est maintenant le plus grand pavillon enclavé. Nous avons dépassé la Suisse et la Mongolie. On participe à des réunions internationales, mais est-ce que notre participation apporte un plus? Parfois peut-être, parce qu’il y a une particularité luxembourgeoise qui est de trouver et proposer des compromis.»
D’ailleurs, les Affaires maritimes sont rattachées au ministère de l’Économie (et non pas au ministère des Transports, dont dépend la navigation intérieure, qui y est intégrée au même titre que le train, la route ou l’aviation).
Deux mille marins à bord
Entre 1 500 et 2 000 marins issus du monde entier travaillent actuellement à bord des navires luxembourgeois. «On compte plus ou moins dix marins par navire», estime Robert Biwer.
Mais la base de données luxembourgeoise comptabilise au total 20 000 inscrits. «Tous ne travaillent pas à plein temps», explique Robert Biwer. «Et sur les 20 000, 15 000 ont un livret de marin en court de validité, ce qui signifie qu’ils peuvent être théoriquement engagés sur des navires à tout moment.»
Des marins marocains pourraient d’ailleurs très prochainement venir compléter la flotte. À la suite de la dernière mission économique au Maroc qui s’est déroulée en septembre dernier, un accord bilatéral entre les deux pays (en cours de signature) destiné à accepter les marins marocains détenteurs d’un brevet d’école nautique marocaine dans la flotte luxembourgeoise a été établi. «Les cadres – officiers et capitaines – qui montent à bord doivent être en possession d’un brevet que nous devons pouvoir endosser. Or pour cela, le pays émetteur doit nous certifier que ce brevet n’est pas un faux», résume Robert Biwer.
Cet accord avec le Maroc permet de répondre à la demande d’armateurs français et francophones visant à disposer d’une main-d’œuvre parlant français. «C’est surtout une opportunité de travail pour les marins marocains. Par la force des choses, cet accord est unilatéral». Le Grand-Duché dispose d’accords en ce sens avec une cinquantaine de pays.
Tous les marins ne sont cependant pas rattachés au régime luxembourgeois. Certains ont des contrats de travail luxembourgeois, d’autres étrangers. Il en va de même pour la sécurité sociale, dont l’attribution dépend du pays de résidence du marin et de celui de son employeur. «C’est assez compliqué, et c’est du cas par cas», souligne le commissaire.
Une convention internationale du travail maritime (la MLC, pour Maritime labour convention, établie en 2006) régule cependant les normes et permet d’offrir un cadre aux droits des marins. Tout comme la convention collective luxembourgeoise rédigée à la suite de la MLC (une nouvelle convention est actuellement en discussion).
Tatiana Salvan
Les préjudices du Brexit
Voilà un autre secteur sur lequel le Brexit risque d’avoir un impact négatif. «Qu’il y ait un accord ou non, dans tous les cas, on va perdre un partenaire très important», déplore Robert Biwer, le commissaire du gouvernement aux affaires maritimes. En effet, le Royaume-Uni est avant tout, faut-il le rappeler, une île, dont la puissance maritime et le savoir-faire en ce domaine ne sont plus à démontrer. «Nos collègues anglais savent de quoi ils parlent, ils ont toujours des propositions très réfléchies dans les réunions. Nous avons beaucoup profité de leurs connaissances et de leur expérience dans le secteur maritime.»
Quelques sociétés britanniques, notamment d’assurances, liées au secteur maritime ont déjà demandé leur transfert au Luxembourg. Concernant les changements de pavillon, «ils se font en quelques jours, il n’y a donc pas d’urgence pour l’instant», souligne le commissaire, qui ajoute : «Il y a des mouvements, mais je pense qu’au final tout le monde va y perdre. L’activité économique en elle-même va diminuer.»
Un dragueur fidèle
C’est au Luxembourg, plus précisément à Capellen, qu’a choisi de s’établir l’un des leaders mondiaux du dragage : l’armateur Jan De Nul, colosse aux 6 500 employés qui a réalisé pas moins de 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2018 !
Au milieu des années 90, alors que la Belgique tarde à modifier sa législation concernant le secteur maritime et de fait tendait à se montrer moins compétitive, Jan De Nul, à l’instar de nombreux autres armateurs belges, décide de mettre sa flotte sous pavillon luxembourgeois.
Un pavillon auquel il choisit de rester fidèle, quand bien même la taxe au tonnage finit par être introduite de l’autre côté de la frontière. «Nous avons été bien traités, alors nous sommes restés!», explique David Lutty, le directeur luxembourgeois de Jan De Nul Group. Aujourd’hui, 580 personnes travaillent pour le groupe au Luxembourg, dont 450 cadres d’équipage.
Il faut dire que le Luxembourg accorde aussi une flexibilité qui facilite le travail de l’armateur, comme l’explique David Lutty : «Une drague nécessite beaucoup de dérogations. Nous avons donc besoin d’un interlocuteur permanent. On trouve cet avantage au Luxembourg, qui a une vision très pragmatique. En plus, les salaires luxembourgeois, la couverture sociale et les contrats à durée indéterminés sont plus intéressants. Nous sommes donc concurrents maintenant avec la Belgique.»
Aujourd’hui présent dans 37 pays, le groupe Jan De Nul était à l’origine une petite menuiserie belge, avant de devenir une entreprise de travaux de génie civil.
Le risque météo… et les pirates
Ce n’est que dans les années 60, après l’achat d’une première drague – ce bateau qui permet de curer les ports – que Jan De Nul se lance véritablement dans le secteur maritime, en effectuant de la «protection côtière» en Belgique. Un métier est né aux Pays-Bas et dans les Flandres, où les terres sont parfois situées sous le niveau de la mer et où les marées mordent les plages, les modifiant à plus ou moins long terme. «Il faut faire du remblai, ramener le sable sur les plages», résume David Lutty.
Petit à petit, la société multiplie les projets, en Europe d’abord, puis dans le monde entier et s’agrandit (et ce, «sans acheter d’autres sociétés concurrentes», souligne David Lutty). C’est à Jan De Nul que l’on doit la fameuse île artificielle sur laquelle est bâti l’aéroport de Hong Kong ou celle non moins célèbre en forme de palmier à Dubai.
Au fur et à mesure son champ d’activités s’élargit aussi : outre le dragage et le génie civil, Jan De Nul fait également de l’offshore (il met notamment en place des éoliennes en mer ou des câbles sous-marins). Désormais, l’entreprise, qui a mis au point un dragage «durable, plus propre que propre» avec des machines à propulsion qui «respectent la norme la plus stricte» et possède un bureau spécialement dédié à la recherche en ce domaine, assainit même les terres polluées, un savoir-faire né de son expérience d’assainissement des ports.
Aujourd’hui, la société possède «200 engins flottants, dont 85 dragues». En tant qu’armateur, Jan de Nul doit gérer la sécurité maritime : «Lorsqu’un navire doit effectuer un déplacement, une équipe évalue les conditions météorologiques par exemple», explique David Lutty. «On gère le navire, les audits, on s’assure du respect des normes internationales et de l’endossement du livret des marins, lequel expire tous les deux ans. Nous engageons aussi des hommes armés si une région risquée par rapport aux pirates risque doit être traversée.»
Un risque bien réel : en 2010, un de ses navires sous pavillon luxembourgeois a été attaqué dans les eaux territoriales du Cameroun. La prise d’otage a duré 15 jours. Une épreuve qui a renforcé la confiance de l’armateur envers le Luxembourg : «Il a réagi comme il faut et a mis toutes les équipes à disposition.»
Madame, Monsieur
Bonjour
Je viens à votre haute personnalité pour Déposer ma Candidature spontanée Comme Marin Matelot, j’aime bcp ce métier .
Je tous les Certificats pour Naviguer.
Je suis de nationalité portugais mais j’habite en Belgique.
J’entends votre réponse favorable.