L’OCDE promet « la fin de la récréation » pour les multinationales habituées à fuir le fisc, grâce à un plan international dévoilé lundi dont la mise en œuvre s’annonce toutefois complexe, et qui déçoit les ONG. Le Luxembourg devrait signer ce plan qui mettra fin aux rescrits fiscaux tels que pratiqués dans l’affaire LuxLeaks.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a distingué quinze « actions » pour obliger les entreprises à payer leurs impôts là où elles sont réellement actives. Cette « première refonte des normes fiscales internationales depuis presque un siècle », selon l’organisation basée à Paris, doit être validée par le G20, au niveau des ministres des Finances cette semaine puis des chefs d’Etat en novembre.
« C’est la fin de la récréation », se réjouit auprès de Pascal Saint-Amans, directeur à l’OCDE, après plusieurs années de scandales autour des impôts dérisoires payés par McDonald’s, Starbuck’s et autres Google. Nombre de grandes entreprises exploitent les divergences entre législations nationales et les subtilités de la comptabilité pour être taxées le moins possible, au besoin en transférant leurs bénéfices vers des paradis fiscaux. Le tout dans une zone grise par rapport à la légalité.
100 à 240 milliards de dollars
Cette « optimisation fiscale » coûte chaque année entre 100 et 240 milliards de dollars, 4 à 10% des revenus mondiaux de l’impôt sur les sociétés, et encore, c’est un chiffre « extrêmement conservateur », selon M. Saint-Amans. Pour y remédier, les États du G20 et de l’OCDE promettent, entre autres, de limiter la déductibilité des intérêts, d’encadrer les niches liées aux brevets (patent boxes), et de s’informer mutuellement des régimes fiscaux préférentiels de certaines sociétés (rescrits fiscaux ou tax rulings en anglais).
Les multinationales réalisant au moins 750 millions d’euros de chiffre d’affaires devront détailler leurs activités pays par pays, et ces informations seront partagées par les administrations fiscales. Le Luxembourg ne pourra plus profiter du vide juridique pour imposer ces sociétés au Grand-Duché à des taux extrêmement favorables.
Dans un communiqué, le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna, se réjouit de la publication de ces rapports et recommandations : «Les règles de fiscalité internationale n’étaient plus adaptées à l’économie globalisée du XXIe siècle. Il fallait augmenter la cohérence des règles au niveau international et la transparence des systèmes fiscaux. En effet, avec les règles existantes, certaines entreprises multinationales parvenaient à payer en toute légalité très peu d’impôts, voire à ne payer que des montants symboliques. Les recommandations de l’OCDE permettront d’éliminer ces abus et de renforcer l’échange d’informations entre les États.»
Enfin un traité multilatéral sera rédigé l’an prochain, pour dispenser les pays de renégocier une à une leurs conventions bilatérales. Pour ce qui concerne l’économie numérique, secteur sensible pour les États-Unis et très concerné par l’optimisation, l’OCDE a décidé de temporiser, sans imposer de contraintes spécifiques.
«Jardin à la française»
Pour la mise en œuvre de ce plan « BEPS » (Base Erosion and Profit Shifting, terme anglais désignant l’optimisation fiscale), les États devront se surveiller les uns les autres, en invitant les pays en voie de développement à se joindre à eux. Ce contrôle collectif existe déjà pour l’échange de données fiscales des particuliers, et a donné naissance à des listes plus ou moins noires de pays, redoutables en termes d’image. Pour la fiscalité des entreprises, ce sera « plus complexe », reconnaît toutefois M. Saint-Amans.
« Aujourd’hui ce sont de larges avenues ouvertes, demain ceux qui voudront contourner l’impôt devront passer dans le noir. On couvre le territoire de radars », résume-t-il. Jean-Pierre Lieb, associé chez EY Société d’Avocats, préfère une métaphore bucolique: « L’idée est de faire en sorte qu’un jardin à l’anglaise », avec son fouillis des normes fiscales, « se transforme peu à peu en jardin à la française » tracé au cordeau.
Ce plan de l’OCDE apporte « un vrai changement », selon cet ancien haut responsable de l’administration fiscale française passé dans le secteur privé. « Une révolution? Je n’irais pas jusque là ». « Le terrain sera sans doute plus accidenté pour les entreprises », confrontées à des divergences entre des Etats qui « feront certainement leur marché dans les propositions de l’OCDE ». Quant aux administrations fiscales, « noyées dans un flot d’informations » nouvelles, « sont-elles également armées et préparées? », s’interroge M. Lieb.
Le choix des États
Les ONG, elles, sont franchement déçues: « Les leçons n’ont pas été tirées des derniers scandales », regrette dans un communiqué Manon Aubry, d’Oxfam. Lucie Watrinet, de CCFD-Terre Solidaire, déplore elle « des aménagements flous et complexes de règles vieilles de plus d’un siècle ». Toutes deux soulignent que seules 10 à 15% des entreprises internationales sont concernées par le plan de l’OCDE, qu’elles jugent trop indulgent sur les « rulings », épinglés lors du scandale LuxLeaks, ou sur la fiscalité des brevets.
Les ONG regrettent enfin que le grand public ne puisse accéder aux informations divulguées par les entreprises. Et que les pays pauvres aient été exclus d’un « processus de décision mené par une minorité d’États riches », les 34 de l’OCDE et ceux du G20.
AFP