Contrairement à ce que l’on pourrait croire, avoir pour patron l’Union européenne ne garantit pas un niveau de rémunération décent, surtout au Luxembourg.
Selon les estimations, jusqu’à 300 agents contractuels, donc des personnes ayant un contrat avec une institution européenne présente au Luxembourg (à ne pas confondre avec un fonctionnaire européen), gagnent un salaire brut en dessous du salaire minimum.
Cela concerne surtout des tâches administratives de base, mais dès le mois d’avril 2021, cela concernera les agents de sécurité du Parlement européen au Luxembourg. La décision avait été dénoncée par les syndicats LCGB et OGBL. L’instance européenne entend arrêter la sous-traitance de la sécurité du site pour la remplacer par des agents de sécurité sous contrat avec elle.
Jusqu’ici, rien d’anormal, sauf que ces futurs agents seront rémunérés selon les grilles en vigueur au sein de l’institution avec un salaire commençant à 2074 euros, soit le premier niveau de la grille. Mais surtout 495 euros de moins que le minimum social luxembourgeois. La situation, loin d’être nouvelle au sein des institutions européennes au Luxembourg, est dénoncée depuis plus années par l’Union syndicale Luxembourg (USL), qui défend les intérêts des fonctionnaires et des agents contractuels européens.
«Les agents contractuels au grade « GF II », c’est-à-dire des personnes exerçant des tâches d’assistance administrative en comptabilité, informatique et sécurité, sont soumis à une grille de salaire, en tout cas au Luxembourg, qui n’est pas concurrentielle», assure Vicente Nuñez, le président de l’USL. En regardant attentivement cette grille salariale, on peut effectivement voir que près d’un quart de la grille est en dessous du minimum luxembourgeois, à savoir 2 570 euros brut.
Pour rassurer les syndicats luxembourgeois, le Parlement a mentionné la possibilité de bénéficier d’une prime pour les futurs agents de sécurité. «De quelle prime parle-t-on? Il existe une prime, l’indemnité de dépaysement, de 16 % du salaire, à condition de ne jamais avoir travaillé ou habité au Luxembourg avant de travailler pour une institution européenne» lance Vicente Nuñez. Ainsi, même si un Polonais venait à postuler pour le poste, prime de dépaysement comprise, il toucherait 2 405 euros, soit toujours moins que le salaire minimum luxembourgeois.
Une spécificité luxembourgeoise
Pire encore, les salaires ne sont pas indexés en fonction de l’inflation au Luxembourg, comme c’est le cas pour l’ensemble des travailleurs du pays. «Pour faire simple, l’Europe a décidé d’indexer les salaires en se basant à 80 % sur l’inflation en Belgique et 20 % sur l’inflation au Luxembourg. De fait, l’indexation des salaires propre aux institutions européennes est en deçà du mécanisme luxembourgeois» soupir Vicente Nuñez, qui se bat depuis de longues années pour faire entendre raison en haut lieu.
Mais au-delà des futurs agents de sécurité du Parlement, la précarité des agents contractuels européens semble être une spécificité luxembourgeoise, à tel point que les agents contractuels basés à Bruxelles ou à Strasbourg ne veulent pas venir travailler au Luxembourg. En effet, il n’y a aucune compensation financière pour le coût de la vie plus élevé. Pour faire simple, «si un fonctionnaire ou un agent contractuel européen à Bruxelles peut faire 100 euros de courses, à Luxembourg, cette même personne ne pourra dépenser que 82 euros», assure Vicente Nuñez, dans la mesure où la différence du pouvoir d’achat est de 18 %. «En 2006, nous avions déjà mis en exergue une différence de pouvoir d’achat entre la Belgique et le Luxembourg de l’ordre de 5,8 %. Depuis, ça n’a fait que se détériorer», souligne encore Vicente Nuñez.
De plus, il faut savoir que, dans les autres pays européens, les fonctionnaires et agents contractuels bénéficient d’un «coefficient correcteur» pour justement résoudre ce problème lié au pouvoir d’achat. Au Luxembourg, ce système n’est pas appliqué. «Cela doit venir d’une initiative de l’État même. Le pays doit demander la mise en place de ce coefficient correcteur. Nous avons déjà alerté le ministère des Affaires étrangères luxembourgeois, mais pour le moment sans résultat», assure le président de l’USL.
Résultat, les agents contractuels ne se battent pas pour venir travailler dans les institutions européennes au Luxembourg. Ces dernières ont d’ailleurs du mal à recruter, comme le montre le pourcentage de postes vacants. Il est de 6,2 % au Luxembourg contre 3 % à Bruxelles. Un autre chiffre montre l’étendue du problème : un tiers des 12 000 fonctionnaires et agents contractuels européens du pays ne vivent pas au Luxembourg quand d’autres s’arrangent pour être en mission en dehors du Luxembourg pour être mieux rémunérés, ce que l’on nomme dans le jargon européen des fonctionnaires «boîtes aux lettres».
Autre situation encore plus ubuesque. Dans les textes européens, l’UE a prévu l’obligation de s’aligner, en dehors du marché unique, sur le minimum social du pays en question pour les agents contractuels travaillant pour l’Europe. «C’est quand même effarant de voir les institutions appliquer en dehors de l’Union ce qu’elles n’appliquent pas au sein même de son territoire», peste Vicente Nuñez.
Encore plus aberrant, si l’Union européenne décidait d’aligner les salaires des quelque 300 agents contractuels sur le minimum social luxembourgeois, cela ne coûterait «que» 250 000 à 500 000 euros par an. Soit une goutte d’eau pour l’Europe et son budget de 137 milliards d’euros (pour la période 2014-2020). D’autant plus que le Luxembourg est, proportionnellement, un des plus grands contributeurs.
Une jungle sociale
Le président du syndicat en profite également pour mentionner la situation tout aussi effarante au sein des crèches des institutions européennes au Luxembourg. «On est face à une véritable jungle sociale. Sur les 400 agents concernés, comme des éducateurs qui gardent les enfants, une centaine sont des agents contractuels classés différemment dans la grille salariale selon qu’ils travaillent pour le Parlement ou la Commission, sans parler des intérimaires de longue durée travaillant depuis plusieurs années ou encore des prestataires de services externes et même des indépendants» dénonce Vicente Nuñez. N’hésitant pas à parler de dumping social au sein même des institutions européennes, il milite pour assurer un salaire égal à travail égal.
Jeremy Zabatta
Le salaire social minimum au Luxembourg n’est que de 2141,99 EUR . Le chiffre de 2.570 EUR que vous mentionner est celui du salaire social minimum pour travailleurs qualifiés. Cela ne change rien à la pertinence de votre article, mais il faut se référer aux bons chiffres