Nicolas Mackel et Luxembourg for Finance veulent «expliquer ce que sont et à quoi servent les différentes activités de la place financière».
La place financière de Luxembourg, ce sont plus de 50 000 emplois et des milliards d’investissements. En 30 ans, elle a su devenir un des centres financiers qui comptent en Europe grâce à la diversité de services qu’elle offre. Grâce à cette variété d’activités, elle est devenue un des principaux piliers de l’économie luxembourgeoise. Nicolas Mackel, le directeur de Luxembourg for Finance, nous guide dans cet univers d’une grande variété.
Vous lancez une campagne pour expliquer aux Luxembourgeois en quoi la place financière consiste. Qu’est-ce que la place financière alors et que fait-elle concrètement ?
Les gens ont du mal à saisir ce qu’est la place financière luxembourgeoise. Ils imaginent un secteur homogène alors qu’elle est multiple et travaille sur plusieurs créneaux. L’activité phare de la place financière concerne les fonds. Nous sommes numéro deux mondial dans ce domaine. Ils ont dépassé les activités générées par les banques nationales traditionnelles. Nous sommes souvent encore vus comme une place de banques privées. Cependant 460 milliards d’actifs sont gérés par les banques privées et 4 700 milliards par les fonds. Le secteur des assurances s’est lui aussi fortement développé ces dernières années. Il y a plus de compagnies d’assurances au Luxembourg que de banques.
La place financière est une place financière européenne. La très grande majorité des acteurs viennent de l’étranger. On ne vient pas au Luxembourg pour son marché national. Sept des 129 banques présentes sont actives sur ce dernier. On y vient parce que notre place financière propose des compétences uniques de par le caractère multinational et multiculturel de notre population, pour rendre les produits financiers compatibles avec les réglementations européennes et celles des différents pays.
Nous avons importé des gens, mais nous en avons fait des compétences
Ces compétences ont été « importées » au Luxembourg…
Nous avons importé les gens, mais nous en avons fait des compétences. D’autres aussi veulent le faire ailleurs. Les Irlandais essayent. Nous avons créé une industrie d’une densité unique en Europe de ce type de personnel. Ces dernières décennies, le Luxembourg s’est spécialisé sur une certaine expertise internationale, c’est la valeur ajoutée de notre place financière.
Pourquoi une campagne de publicité et pourquoi la destiner aux Luxembourgeois en particulier ?
Nous voulons expliquer ce que sont et à quoi servent les différentes activités de la place financière. Un fonds aide, par exemple, les entreprises à financer leurs activités en investissant dans leurs actions ou leurs dettes. Que fait une banque ou une assurance ? Leurs activités sont peut-être plus vastes et plus complètes qu’il n’y paraît. Nous avons choisi de cibler les Luxembourgeois en premier lieu pour des raisons pratiques. Une bonne partie des résidents non-luxembourgeois travaillent sur la place financière. Les premiers à avoir besoin d’être informés sont donc les Luxembourgeois. En tant qu’électeurs, il est important qu’ils comprennent ce qui est important pour leur pays. Le but est d’informer de manière factuelle et de montrer que le Luxembourgeois vivrait moins bien si la place financière n’existait pas. À partir du 1er janvier, la campagne sera aussi diffusée en anglais, en français et en allemand.
Quelles sont ses retombées pour le Luxembourg et que serait le Luxembourg sans la place financière ?
La question est hypothétique. Il existe donc plusieurs moyens d’y répondre en fonction des choix faits dans les années 1970. À cette époque, de nombreuses banques internationales s’étaient établies au Luxembourg pour faire du change en devises multiples. L’essor des fonds a débuté à la fin des années 1980 avec le livre blanc de Jacques Delors sur l’avènement du marché intérieur. Il prévoyait de faire tomber les barrières commerciales et les frontières fiscales et proposait notamment de créer un marché intérieur pour les fonds, basé sur un produit européen. Les grands pays avaient un produit « national » vendu sur leur propre marché; nous avons les premiers compris le potentiel multinational de cette directive et l’avons transposée. Cela nous a donné une avance que les autres marchés n’ont toujours pas rattrapée.
L’avenir semble être la finance verte et durable…
Pour atteindre les objectifs en matière de protection du climat, nous devons repenser et reconstruire nos économies. Nous avons besoin d’une économie, de procédés et d’industries durables. L’industrie financière y participe par le biais du financement de ces projets de transition. C’est une opportunité énorme si l’on considère que l’industrie va devoir revoir ses pratiques et lancer de toutes nouvelles procédures de production pour lesquelles elle a besoin de crédits et de financements. La finance intervient et aide par son savoir et le capital qu’elle peut apporter.
Un deuxième point concerne la digitalisation. Nous devons donner aux acteurs de la finance un accès aux solutions technologiques ainsi qu’à un cadre réglementaire et législatif adapté aux évolutions technologiques. Enfin, troisièmement, nous avons aussi misé sur certains marchés émergents : à moyen terme la Chine et, à plus long terme, des pays comme l’Indonésie, le Vietnam, pour ne citer qu’eux. Le Brexit a été, à très court terme, un autre apporteur d’affaires.
Les pertes liées à la crise actuelle seraient supérieures à celles de la crise de 2009. L’économie pourra-t-elle s’en relever ?
Dès que le vaccin sera généralisé et que les restrictions seront levées, l’économie repartira, mais nous aurons perdu deux ans qui coûteront à notre économie de l’argent, des emplois, des vies… Une crise sociale risque de s’ajouter. Ici, au Luxembourg, nous nous en sortons bien par rapport à nos voisins avec « seulement » 4,5% de décroissance, contre 7,5% en Europe. Il nous faudra cependant une bonne année pour revenir au niveau d’avant la crise. La crise a coûté beaucoup d’argent aux États qui ont dépensé sans compter pour limiter les dégâts. Ces dépenses étaient nécessaires, mais avec elles, l’État s’est endetté encore plus. La crise a un coût non négligeable.
Notre économie nationale est construite autour de la place financière
Le secteur financier a-t-il pu continuer à assurer les mêmes services pendant la crise ?
La finance a pu continuer à fonctionner grâce aux technologies. Mais tout a ses limites. Il est ardu de contacter de nouveaux clients par le biais de logiciels de réunion à distance pour essayer de leur vendre un produit. Le volume d’affaires est réduit. Nous pouvons nous estimer heureux de ne pas être tombés dans une crise financière. Les marchés financiers se sont stabilisés, mais la menace reste. Cela dépendra de la durée de la crise sanitaire. En ce moment, les entreprises sont soutenues par l’État et les aides indirectes de la Banque centrale européenne. Il faudra voir lorsque certaines d’entre elles commenceront à faire faillite après avoir épuisé leurs ressources.
Des entreprises qui ne peuvent plus rembourser leurs prêts, des personnes qui perdent leur emploi… C’est à ce moment-là que les effets se feront sentir sur l’industrie de la finance. Cette crise viendra certainement, mais nous ne sommes pas à même d’en mesurer l’intensité. L’annonce de l’arrivée des vaccins redonne un peu d’espoir.
Le concept de décroissance est-il compatible avec le concept même de la place financière ?
Nous sommes, en ce moment même, dans une phase de décroissance de 4,5% pour cette année. Cela signifie que des commerces vont devoir fermer, que des salariés vont devoir être licenciés et que des coûts vont devoir être limités… Aucun pays ne peut envisager la décroissance comme politique économique. Je préfère qu’on parle de croissance qualitative. La décroissance ne peut être un but. Il faut structurer la croissance pour qu’elle devienne durable, qualitative. On en revient à notre secteur financier qui totalise plus de 30% du PIB, 30% des recettes d’impôts, 12 % de la population active… Selon un récent rapport de la Cour des comptes, ce seraient même 52% des recettes fiscales qui seraient issues de la place financière. Cela m’a surpris. Le montant avancé de 4,4 milliards est le même que l’année passée où nous contribuions à 30% des recettes fiscales. Est-ce parce que toutes les recettes fiscales ont diminué, sauf celles de la place financière ? Ces 52% représentent-ils juste les activités de la place financière? Est-ce l’effet direct, indirect ou induit? Ce qui est un fait, c’est que notre économie nationale est construite autour de la place financière. C’est ce qui la porte. Et c’est ce qui la définit à l’étranger et cet écosystème privilégié attire les activités financières. Sans l’apport de la place financière, le pays n’aurait pas pu réagir comme il l’a fait pendant la crise. Difficile de trouver une croissance plus qualitative.
La place financière est créatrice d’emplois. Peut-on considérer qu’elle est également indirectement en cause dans les problèmes de transports ou la pénurie de logements et, par là, de la hausse des prix ?
Les gens pensent que la place financière, en tant que plus grand secteur économique, en est forcément la cause. Or la place financière représente 12% des emplois au Luxembourg. Ce ne sont pas ces 12% qui génèrent les problèmes de circulation. Elle y participe en portant toute une série d’autres activités, mais n’en est pas la cause. Quant à l’immobilier, beaucoup de gens pensent que les salariés de la place financière gagnent bien leur vie et font par là augmenter les prix de l’immobilier. En fait, une infime partie des 51 000 salariés de la place financière gagne beaucoup d’argent. Le salaire médian de la place financière est plus bas que celui de l’État luxembourgeois. La place financière, en revanche, contribue aux recettes de l’État qui peut payer des salaires et garantir la prospérité au pays.
La cause de l’explosion de l’immobilier est l’environnement monétaire mondial. Depuis la dernière crise, les taux d’intérêt sont très bas, voire négatifs. Les personnes qui ont de l’argent – pas uniquement les très riches ou les fonds de pension mais aussi les citoyens qui peuvent se le permettre – investissent dans la pierre. C’est le seul bien qui rapporte encore quelque chose aujourd’hui. Cela crée un cercle vicieux dans toutes les villes où règne une certaine dynamique économique. Ce sont les conditions macro-économiques. Dire que le problème vient de la place financière est une considération simpliste, voire populiste. Cela rapporte des voix, mais n’apporte pas de solution.
La place financière est-elle toujours un pourvoyeur d’emplois pour les jeunes ?
La place financière emploie 51 000 personnes. Les banques en emploient la moitié. Les fonds ont la croissance la plus rapide avec 3% par an sur les dix dernières années. Idem pour les assurances. Les banques sont restées stables. Les fonds ont contribué à la création du plus grand nombre d’emplois ces dernières années sur la place financière. Il faut aussi voir la diversité des emplois dans la finance. Il n’y a pas que des gens de la finance. Il y a des mathématiciens, des informaticiens, des profils tout à fait différents, parce que la finance a de nombreuses facettes et requiert beaucoup de talents différents. Nous ne cherchons pas que des comptables, des économistes ou des juristes.
Entretien avec Sophie Kieffer