Les secteurs du génie technique et de l’artisanat s’inquiètent de la position de plus en plus dominante du fournisseur d’énergie.
Il y a quelques jours, Enovos a pris une participation majoritaire dans Minusines SA, une société luxembourgeoise spécialisée dans la fourniture de matériel électrique ayant d’importantes parts de marché dans le secteur. Une acquisition de trop pour la Fédération du génie technique (FGT) et la Fédération des artisans (FDA) qui y voient une stratégie agressive d’Enovos, une société pas comme les autres, puisque les actionnaires sont publics, amenant à une situation concurrentielle délicate. L’État, la Ville de Luxembourg, la BCEE et la Poste sont en effet les principaux actionnaires du groupe Encevo, maison mère d’Enovos.
En juillet 2018, le fournisseur a repris la société Paul Wagner et fils. Peu de temps après, c’est Powerpanels, le plus grand fabricant luxembourgeois de tableaux de distribution, qui est racheté par Enovos. Avec la prise de participation dans Minusines, les représentants du secteur – qui comptent 500 entreprises pour 13 000 salariés – s’inquiètent de voir Enovos avec une telle situation monopolistique. «Avec ces acquisitions, Enovos contrôle toute la chaîne de valeur du secteur. En outre, en raison de sa position de quasi-monopole sur le marché de l’énergie, Enovos détient des informations commerciales d’un énorme réservoir de clients», peste Michel Reckinger, le président de la Chambre des métiers. En effet, en contrôlant toute la chaîne du secteur, les synergies intragroupes pourraient faire en sorte d’empêcher un client de faire jouer la concurrence.
La FDA souligne également avoir déjà porté plainte, sans succès, auprès du Conseil de la concurrence, en 2018. «Contrairement à nos voisins, il n’existe pas de base juridique au Luxembourg pour exercer un contrôle ex ante de ces phénomènes de concentration», juge Romain Schmit, le secrétaire général de la FDA, qui espère voir l’actuelle réforme du droit à la concurrence «ajuster le tir». «Mais après discussions avec le ministre de l’Économie, Franz Fayot, en charge de ce dossier, ça n’en prend pas le chemin», soupire Romain Schmit.
La maison mère d’Enovos, Encevo, se défend
Selon la Fédération du génie technique, cette stratégie agressive met «en péril un secteur pourtant en train de faire d’importants efforts pour justement réussir et participer à la transition énergétique du pays chère au gouvernement», assure Marc Thein, le président de la FGT. Dès lors, l’ensemble des acteurs en question posent la question suivante : à quel genre de jeu le gouvernement joue-t-il avec Enovos? Quand on leur pose la question, «les divers ministères et ministres, Économie, PME, Énergie, Travail, se renvoient tous la balle», argue Michel Reckinger, qui n’exclut pas de futures actions juridiques «pour rétablir une concurrence loyale sur le marché».
De son côté, Encevo se défend en soulignant que «lors des additions récentes au groupe à travers Enovos Services, il a toujours été veillé à ne pas altérer les structures et l’équilibre du marché. Aucun nouveau concurrent n’a été créé, puisque ces sociétés existent depuis des décennies, aucune entreprise reprise par le Groupe Encevo n’a disparu. Les structures des entreprises sont restées en place, tout comme la direction et les employés. Les entreprises récemment acquises ont trouvé dans le Groupe Encevo un partenaire qui correspondait à leurs critères. Avant d’intégrer le Groupe Encevo, tous étaient à la recherche de successeurs, voire de repreneurs, stables, neutres, luxembourgeois et qui garantissent leur pérennité. D’ailleurs, ces entreprises constituent certes des acteurs importants du marché, mais ils s’intègrent dans un marché parfaitement concurrentiel.»
Le groupe Encevo a également assuré «rester humble et convaincu que la transition énergétique est un défi commun, qui ne pourra pas être assumé par un seul acteur, mais qui demande un effort collectif dans un climat de collaboration et de confiance», tout en soulignant qu’«à ce jour aucune distorsion de marché ni aucun abus n’a été constaté. Ni de la part de la Fédération des artisans ni d’un autre acteur. Nous déplorons dès lors la manière peu conciliante de la discussion menée sur la place publique, mais restons bien entendu ouverts au dialogue et à la coopération.» Affaire à suivre.
Jeremy Zabatta