Le programme de stabilisation présenté par le gouvernement va mobiliser neuf milliards d’euros. Pourtant la dépense pour l’État ne sera que d’un peu plus de deux milliards d’euros.
Le Premier ministre l’a bien souligné : «N’allez pas faire penser que l’État investit neuf milliards dans l’économie luxembourgeoise.» Lors de la présentation du programme de stabilisation, Xavier Bettel n’a pas insisté sur cette nuance pour rien. Car si effectivement l’ensemble des mesures prises pour aider les entreprises et maintenir l’emploi dans cette crise sanitaire hors normes peut se chiffrer à 8,8 milliards d’euros, cela ne veut pas dire que l’État va mettre sur la table une valise avec une telle somme. Explications.
Le programme de stabilisation présenté par le gouvernement a été salué par la grande majorité des acteurs économiques du pays. Sur les réseaux sociaux, Nicolas Buck, le président de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), a remercié le travail du ministère des Finances et du ministre Pierre Gramegna pour «le soutien financier sans précédent fourni par notre gouvernement pour nous aider à traverser la crise». Il ajoute : «Cette réponse est un énorme soulagement pour les entreprises et les employés. Un grand effort d’équipe de la part des secteurs public et privé.» Un avis partagé par Michèle Detaille, présidente de la Fedil, ainsi que la Chambre de commerce.
1,75 milliard de dépenses directes
Mais quelques voix commencent à se faire entendre afin de ne pas être les grands oubliés de ce plan inédit (lire ci-dessous).
Avant toute chose, tentons de comprendre ce que représentent neuf milliards d’euros pour un pays comme le Luxembourg. «C’est énorme», assure Marc Wagener, chief operating officer de la Chambre de commerce, avant de poursuivre : «Cela correspond à 15 % du produit intérieur brut (PIB) annuel, autrement dit de la richesse produite par le Luxembourg en un an, soit 63 milliards d’euros. Les neuf milliards d’euros, c’est du jamais vu. Pour situer la somme, c’est pratiquement la moitié des dépenses annuelles de l’État central qui sont d’environ 20 milliards d’euros. Mais effectivement, il faut bien souligner que ces neuf milliards d’euros ne sont pas des dépenses directes pour l’État.» Pour compléter et tenter encore une fois de mieux visualiser cette somme, l’année dernière, précisons que l’État luxembourgeois a dépensé 20,6 milliards d’euros pour 20,3 milliards d’euros de recettes. Avec 3,7 milliards d’euros de dépenses, le ministère de la Sécurité sociale est le plus gros poste de dépenses de l’État.
Dès lors, il faut bien comprendre que l’État ne va pas alourdir massivement sa colonne «dépenses» de neuf milliards d’euros. D’un autre côté, le Premier ministre l’a rappelé, «La crise va coûter ce qu’elle coûtera.» Les deux ne sont pas incompatibles.
«Cette enveloppe de neuf milliards n’est pas une dépense, l’État ne va pas financer physiquement neuf milliards d’euros. Il faut décomposer cette enveloppe en trois composantes : les vraies dépenses, les délais et les reports de paiement puis les garanties étatiques. Parmi ces trois composantes, seul le premier sera une dépense immédiate pour l’État», explique Marc Wagener.
La dépense la plus coûteuse sera le chômage partiel
Dans le détail, les dépenses immédiates vont se monter à 1,75 milliard d’euros. La dépense la plus coûteuse sera le chômage partiel, 1 milliard d’euros, puis le financement du congé pour raison familiale, 400 millions d’euros, les aides directes aux PME, 300 millions d’euros (NDLR : une aide qu’il faudra rembourser) et enfin 50 millions d’euros d’aides accordées aux entreprises de moins de neuf salariés. «Le chômage partiel est un vrai soulagement pour les entreprises qui ne peuvent plus travailler en raison du confinement», souligne Marc Wagener. Autre mesure saluée par la Chambre de commerce, cette aide de 5 000 euros pour les très petites entreprises. «C’est vraiment important parce que les petites entreprises, ce sont souvent des indépendants qui n’ont souvent pas de réserve et doivent continuer de payer des charges», assure le numéro deux de la Chambre de commerce avant de nuancer : «Pour être totalement sincère, on aurait voulu un peu plus. On ne va pas s’en plaindre, c’est mieux que rien. Cela représente 50 millions d’euros de dépenses. Par rapport aux 20 milliards d’euros de dépenses annuelles de l’État, c’est un quart de pour cent, donc ce n’est pas une mesure très onéreuse et cela reste un soulagement pour des milliers d’entrepreneurs, des cafetiers, des restaurateurs, des petits commerces et des entreprises. Mais on aurait voulu une mesure s’inspirant davantage du modèle allemand, c’est-à-dire une aide progressive en fonction du nombre de salariés et renouvelable chaque mois. En Allemagne, c’est 15 000 euros pour trois mois. Mais je crois honnêtement que cette aide devra être renouvelée.»
Sachant les effets de cette aide limités, Marc Wagener mise cependant davantage sur le régime d’aides qui sera bientôt voté : «Cette aide va soulager les entreprises concernées, comme un pansement immédiat. Mais nous savons que la plaie va se rouvrir et il faudra sans doute un autre pansement. C’est là que l’on attend de voir ce que va donner le régime d’aides de 300 millions d’euros. Pour le moment, c’est un projet de loi qui devrait être voté par le parlement en début de semaine prochaine. Avec ce régime d’aides, toutes les entreprises seraient éligibles et pourraient faire valoir les frais de loyer et les frais de personnel pour calculer le montant de l’aide par entreprise. Mais attention, ici, ce sera une aide remboursable.»
Évidemment, le gouvernement compte aussi sur les banques pour geler certains crédits des entreprises. Il compte aussi sur la compréhension des propriétaires louant un local à un commerçant faisant partie des 15 000 entreprises concernées par les fermetures décrétées par le gouvernement pour assurer un confinement efficace. Le gouvernement leur demande de se montrer plus flexibles en cette période de crise en exonérant de loyers les commerçants ou en les étalant dans le temps. Leurs fournisseurs sont appelés à la même compréhension.
Des entrepreneurs mitigés
Sur l’enveloppe de neuf milliards d’euros, l’État va dépenser «physiquement» 1,75 milliard d’euros dans les prochains jours, soit un peu moins de 20 % de la somme globale du plan de stabilité. Dès lors, que représentent les quelque sept milliards d’euros restants? La plus grande partie concerne des reports d’impôts et de charges sociales. Concrètement, les entreprises vont pouvoir différer dans le temps le paiement des impôts et autres échéances fiscales. Un lot de mesure qui représente 4,5 milliards d’euros. Même chose au niveau de la TVA, ce qui représente 50 millions d’euros. Restent 2,5 milliards d’euros pour les garanties bancaires. Ces dernières doivent servir à soutenir les entreprises auprès des banques dans le cadre d’une demande d’un prêt bancaire ou d’une ligne de crédit. Donc, cela n’est pas une dépense directe, mais plutôt un report de trésorerie de l’État.
Toujours dans l’optique de tenter de savoir ce que cela va coûter à l’État, on pourrait se dire que 10 % des entreprises ne pourront pas rembourser les crédits contractés grâce à la garantie bancaire de l’État, forçant ce dernier à faire jouer cette garantie pour rembourser la banque, soit 250 millions d’euros. Même exercice avec 10 % d’entreprises faisant faillite et donc ne pouvant pas payer les diverses charges et dépenses fiscales, soient 450 millions d’euros. On peut éventuellement supposer que 750 millions d’euros seront «perdus» par l’État. «C’est le calcul de la ménagère, objecte Marc Wagener. Ce qui est important de souligner, c’est que nous sommes contents de ces mesures et de voir que l’État soutient les entreprises tout en ne donnant pas l’impression que l’État dépense physiquement neuf milliards d’euros, car ce ne serait pas juste factuellement.»
Si le plan et l’enveloppe se veulent ambitieux, certains entrepreneurs ont du mal à rester optimistes. Sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à exprimer un sentiment mitigé en soulignant que la réponse du gouvernement à la crise était essentiellement de proposer aux entreprises de prendre un crédit et de se couvrir de dettes pour sortir de la crise.
Jéremy Zabatta