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Luxembourg : corona, chômage et Schumpeter au menu


Vue aérienne du Kirchberg en 2014. Une augmentation du chômage est prévue beaucoup plus fortement qu'initialement pour 2020-2021 par le Statec (Photo d'archives : Editpress).

Le Statec livre une note de conjoncture dédiée au coronavirus au Luxembourg, ce mardi. Une hausse du chômage probablement aussi forte qu’après la crise de 2008 est envisagée. La question d’une consommation intérieure en berne pose problème aussi, dans une moindre mesure que pour des pays comme la France ou l’Allemagne a priori. Seule une pincée de Schumpeter relève le plat dans la discussion !

Difficile de lire dans le marc de café. « Nous ne sommes pas épidémiologistes », lâche Bastien Larue, économiste au Statec luxembourgeois. L’institut ne se risque pas à des conclusions définitives sur l’impact du virus. Toutefois, voici les grandes pistes que nous pouvons tracer :

  1. La double sanction d’une économie en berne et du levier de la consommation intérieure verrouillé : en 2018 et 2019, la zone euro était déjà dans une phase de ralentissement économique (guerre commerciale, surproduction d’acier, etc.). 2020 devait sonner comme la (lente) reconquête et patatras… le coronavirus paralyse l’économie. Plus grave, la pandémie va aussi influer sur la consommation intérieure, avec la fermeture des magasins et les restrictions de sortie. « Alors que la consommation était attendue comme l’un des principaux facteurs de résilience en 2020 en Europe », souligne Bastien Larue. Nuançons sur ce dernier point l’impact pour le Luxembourg : le levier de la demande intérieure est moins important que dans d’autres pays, comme la France ou l’Allemagne, car la plupart des produits achetés au Luxembourg sont importés. « Quand l’Allemagne vend des voitures à sa population, elle les fabrique aussi. Quand la France vend des denrées, elle les fabrique aussi avec son agriculture », illustre Bastien Larue. L’économiste précise : « Toutefois, beaucoup de productions sont liées. Avec le confinement, aucune voiture ne va être vendue sur la période de la crise en Europe. Or le Luxembourg fabrique des pièces ou des process pour l’automobile. » On pense ici à Continental, mais aussi à l’acier d’ArcelorMittal par exemple.
  2. Au Luxembourg, un problème persistant de baisse de la productivité… à moins qu’un processus de destruction/créatrice soit l’occasion de se relancer ! Le topo : malgré une croissance du PIB remarquable, l’un des défis de l’économie luxembourgeoise est de gagner en productivité. Par tête d’actif, le pays est déjà extrêmement productif, notamment grâce aux exportations de produits financiers. « Le niveau est très haut, glisse Bastien Larue. En revanche, la productivité globale stagne ou régresse par rapport aux voisins européens où elle progresse ces dernières années.  » En clair : pour inverser la tendance, il faudrait que le Luxembourg produise une richesse toujours plus grande (notamment pour assurer le système des retraites et un haut niveau de services publics), mais en créant moins d’emplois que par le passé. Or ce n’est encore pas le cas pour les premières conclusions de l’année 2019, et ça devrait être encore moins le cas en 2020 avec la crise du coronavirus. Concrètement, une première estimation de croissance porte l’augmentation du PIB à +2,3% en 2019 (contre une moyenne européenne de 1,2%). Problème, l’emploi s’est accru de +3,6% l’an passé. Il faut « toujours plus de monde pour ramasser le même nombre de fruits », selon l’expression employée par Carlo Thelen, il y a quelques années déjà, le directeur de la Chambre du commerce du Luxembourg.
    « À court terme au moins, la productivité va s’effondrer, explique Bastien Larue. Tout simplement du fait de la généralisation du chômage partiel, pour sauver les entreprises. Techniquement parlant : on parle d’actifs qui ont encore un emploi mais qui ne produisent pas. » Et sur le long terme ? Nous suggérons une approche de destruction-création potentiellement favorable à la productivité, puisque ce sont les entreprises les moins armées, donc les moins productives qui risquent de flancher. « C’est une approche schumpétérienne des crises, évalue Bastien Larue. Les entreprises qui avaient déjà la tête juste au-dessus de l’eau coulent. Soit parce qu’elles venaient de se lancer, soit parce que leur modèle était enraillé. » Par quoi seront-elles remplacées ? De nouvelles boîtes très compétitives ? On retombe sur l’éternelle question de la capacité du Luxembourg à se battre sur la scène internationale pour attirer les meilleurs profils et investisseurs. La compétition va être rude au redémarrage, et il ne sert à rien de tirer des plans. On ne sait même pas combien de temps cette crise va durer.
  3. Une hausse du chômage bien plus forte que prévu : le Statec prévoyait de légères hausses du chômage au Grand-Duché en 2020 et 2021. « Il faudra attendre de distinguer entre les mesures temporaires et les mesures définitives de chômage », précise Bastien Larue. Le Statec estime toutefois que la hausse sera « très probablement à l’image de ce qui avait été constaté lors de la grande récession de 2008 ». Entre 2007 et 2009, le chômage était passé de 4,2% à 5,4 % au Grand-Duché. Comparaison n’est pas raison : « Cette crise liée au coronavirus est inédite l’économie est à l’arrêt. »

Hubert Gamelon