Sur la carte mondiale des producteurs de vin, l’Irlande est quasiment inexistante. Des viticulteurs espèrent lui faire une place avec l’aide du changement climatique, qui amène la production de vin en Europe à se déplacer vers le nord.
Selon les services météorologiques, les étés en Irlande, réputés pluvieux, deviennent plus chauds et plus secs, et donc plus propices à une production du vin qui a déjà commencé, en Europe, à se déplacer vers le nord. Peu nombreux dans un pays connu pour sa bière brune Guinness et son whisky, les vignobles commerciaux se trouvent principalement sur les côtes sud et est et produisent surtout du vin blanc. Le plus grand d’entre eux – quatre hectares – se trouve près du village de Wellingtonbridge, au sud-est de l’Irlande, la région la plus ensoleillée. Il est abrité du vent et exposé au sud-ouest, avec des rangées espacées pour que les grappes reçoivent la meilleure lumière.
«Nous avons besoin de tout le soleil possible», résume la propriétaire, Esperanza Hernandez. Par une journée d’été, sans surprise couverte et humide, la viticultrice de 55 ans, issue d’une famille de vignerons et venue d’Espagne il y a vingt ans, élague les branches improductives : «Si on supprime cette branche, on peut voir les grappes et les grappes peuvent aussi voir le soleil… enfin, s’il apparaît.»
Jusqu’à 10 000 bouteilles par an
Tout n’est pas rose, nuance Esperanza Hernandez, notamment parce que l’agriculture a besoin d’un climat stable qui, même en Irlande, n’est plus du tout garanti : «Le changement climatique ne se limite pas à des températures plus élevées, il apporte de l’imprévisibilité : gelées, tempêtes, pluies, périodes de sécheresse…» Les pluies irrégulières sont également synonymes de terres boueuses, ce qui peut empêcher de traiter les vignes à temps contre les champignons, par exemple.
Après avoir analysé le climat et le sol de différents sites, Esperanza Hernandez et son mari ont planté leurs premières vignes en 2015 pour des tests. Avec leur entreprise, The Old Roots, ils ont lancé leur production en 2019 : riesling, pinot blanc, pinot noir… Ils commercialisent désormais jusqu’à 10 000 bouteilles de rouge et de blanc par an, avec d’ambitieux projets d’expansion. Mais outre les contraintes climatiques, les viticulteurs irlandais sont confrontés à des défis inexistants en Europe du Sud. Les machines, la technologie, les connaissances des experts sont extrêmement rares en Irlande. «On doit faire venir quasiment tout de l’étranger», ce qui «multiplie par trois les coûts de production», regrette Esperanza Hernandez.
Le changement climatique apporte aussi de l’imprévisibilité : gelées, tempêtes, pluies, périodes de sécheresse…
Plus loin sur la côte est, près de Dublin, David Llewellyn, qui produit du vin depuis vingt ans, estime qu’il faudra attendre un avenir «lointain» pour voir l’Irlande reconnue comme un important pays producteur. «Il faudrait que notre climat se réchauffe vraiment pour que nous puissions cultiver les cépages que le marché réclame», explique l’exploitant de 48 ans dans son vignoble de Lusk, l’une des régions les plus sèches d’Irlande. «Les quelques variétés que nous pouvons cultiver avec succès et de manière relativement fiable en Irlande sont méconnues de beaucoup des consommateurs, même si elles peuvent donner un bon vin.»
Avec une pointe de jalousie, David Llewellyn évoque les «avantages climatiques» dont bénéficie le sud de l’Angleterre, où les températures moyennes sont supérieures de quelques degrés à celles de l’Irlande et la production se développe ces dernières années. «Mais même quand la production de vin atteint des millions de bouteilles par an, le vin anglais reste cher par rapport au français, à l’italien, au chilien…»
«L’avenir du vin irlandais est prometteur»
Selon Aileen Rolfe, une experte en vin basée en Angleterre, le changement climatique pousse sans aucun doute la production vers le nord de l’Europe, tandis que les pays producteurs traditionnels doivent s’adapter. «Les vendanges sont déplacées de septembre à août pour éviter que les raisins ne soient brûlés par le soleil, et les viticulteurs plantent des variétés de raisin plus aptes à supporter la chaleur», explique-t-elle.
Optimiste pour les producteurs irlandais, elle évoque l’exemple de nouveaux acteurs du marché : «Il n’y avait pas de vignes en Nouvelle-Zélande avant les années 1970, et il a fallu une génération pour que le vin anglais soit pris au sérieux.» L’Irlande bénéficie déjà de conditions favorables comme un sol fertile et de longues heures de lumière en été, souligne-t-elle : «L’avenir du vin irlandais est prometteur, il pourrait être le vin anglais de la prochaine génération.»