Les citoyens reconnaissent l’utilité de l’intelligence artificielle mais s’en méfient. C’est ce qui ressort d’une consultation publique dont les résultats ont été dévoilés mercredi.
Le gouvernement l’avait annoncé en 2019 : l’intelligence artificielle (IA) doit «s’enraciner dans le tissu social» pour «améliorer la vie de tous les citoyens» et son développement doit être «centré sur les besoins de l’humain». Afin de mieux cerner la perception de la population quant aux opportunités et aux défis que représente l’IA au Luxembourg et pour pouvoir mettre en œuvre sa vision stratégique, le gouvernement avait lancé en novembre dernier une consultation publique, dont les résultats ont été présentés mercredi au cours d’une conférence de presse à laquelle a participé le Premier ministre et ministre de la Digitalisation, Xavier Bettel.
Sur les 20 000 courriers envoyés auprès d’un échantillon représentatif des résidents âgés de plus de 16 ans, le Luxembourg institute of socio-economic research (Liser), en charge de l’analyse de cette enquête, a reçu près de 2 400 réponses. «Cela montre un intérêt indéniable de la population quant à la question de l’IA», relève le professeur Aline Muller, directrice générale du Liser.
Il ressort ainsi de cette étude qu’une large majorité des citoyens considère que l’IA présente des avantages et peut apporter des progrès, en facilitant les tâches de la vie quotidienne (70%) ou en automatisant des tâches répétitives sur le plan professionnel (64%). Pour les personnes en faveur d’une utilisation accrue de l’IA, c’est dans le domaine de l’administration publique que l’IA pourrait se révéler particulièrement utile, notamment pour réduire les démarches administratives, permettre le suivi de la mobilité voire offrir une mobilité personnalisée, ou encore pour établir un système de trafic intelligent. Sans oublier le domaine de la santé : l’IA aurait un rôle à jouer pour recevoir des diagnostics médicaux plus précis mais aussi prévenir des maladies, selon les sondés.
Par contre, ils sont tout autant (64%) à considérer que l’intelligence artificielle n’est pas fiable et plus de la moitié des personnes ayant participé à l’enquête estime que le recours à l’IA est opaque – les individus ne savent pas où elle est utilisée ni avec quelles données. Si l’IA paraît peu risquée dans le domaine de la mobilité, il en va différemment en matière de sécurité et de défense et pour la santé. «Ces domaines présentent beaucoup de potentiel pour les participants, mais aussi beaucoup de risques», souligne le professeur Aline Muller.
En outre, un peu plus d’un résident sur deux (54%) connaît le Règlement général sur la protection des données (RGPD) mais parmi eux, moins d’un individu sur trois (27%) considère que ce règlement protège suffisamment les citoyens. Toutefois, plus des trois quarts de la population fait plutôt confiance à l’administration publique, alors qu’ils ne sont que 46% à faire confiance au secteur privé. «Sans surprise, l’enquête confirme qu’au Luxembourg, les gens sont hyper connectés tout en étant très conscients que leur vie privée n’est pas nécessairement respectée : ils sont lucides sur le fait que des données sont vendues ou collectées à leur insu», résume la directrice du Liser.
Des plus de 60 ans «branchés»
Contrairement à ce à quoi l’on aurait pu s’attendre, l’enquête montre par ailleurs que les plus de 60 ans sont loin d’être déconnectés. «Il y a un très grand intérêt des personnes de plus de 60 ans pour l’IA, notamment dans le domaine de la santé. Ils s’informent aussi très activement. En fait, plus que l’âge, ce sont les inégalités sociales, particulièrement en termes d’éducation, qui favorisent la déconnexion, analyse Aline Muller. Il faut donc expliquer l’IA dans des termes qui puissent être compris par tous.»
«Les plus de 60 ans sont branchés, a plaisanté le Premier ministre. Ils sont beaucoup plus connectés que ce que l’on pourrait penser. Je pense même qu’une personne plus âgée aura davantage tendance à lire les conditions d’utilisation que quelqu’un de plus jeune. Il faut donc faire comprendre à tous, dès le plus jeune âge, que lorsqu’on cherche quelque chose sur internet, en fait, on n’est pas seul.»
D’ailleurs, plus de 80% des répondants souhaitent la mise en place d’une campagne de sensibilisation et d’information sur l’usage de l’IA. «Nous ne pouvons pas nous cacher derrière la complexité de la technologie et devrons rester en échange permanent avec les experts. Il faut activement veiller à éviter toute inégalité liée à l’IA et s’assurer que l’être humain soit toujours le bénéficiaire de la technologie», a commenté Xavier Bettel, rappelant en outre qu’une dizaine de projets au sein de différentes administrations sont en cours de développement afin d’expérimenter concrètement avec les algorithmes les plus modernes.
Tatiana Salvan