Des matières à base de feuilles d’ananas, de champignons ou encore de lin, avec un rendu similaire à celui du cuir, se développent et sont vantées comme étant plus écoresponsables, mais des interrogations subsistent chez certains observateurs.
Dans son atelier de Nancy, Davy Dao, qui a créé la marque Dao, présente sa nouveauté : une matière à base de lin, semblable au cuir au toucher et dans l’évolution de la matière dans le temps… mais plus respectueuse de l’environnement, soutient son créateur. Vantée comme étant «la première alternative végétale au cuir cultivée en France», cette matière innovante commercialisée sous le nom de Pleneri est le fruit de cinq années de recherches autour des propriétés du lin, qui la compose à 72 %, explique Davy Dao.
Le reste est issu, pour l’heure, de procédés pétrochimiques. Le plastique biosourcé, également utilisé sur les coutures pour relier les différents éléments entre eux, n’est pas encore dans les tuyaux. Et «avec une tonne de lin, on peut en utiliser 980 kilos en produit fini», assure Davy Dao, «ce qui n’est pas le cas avec le cuir». La France est par ailleurs le premier pays producteur de lin au monde.
Le secteur du luxe se prend au jeu
La matière peut être travaillée de la même manière que le cuir, dans une tannerie, avec des technologies déjà bien rodées et la possibilité de choisir, parmi un «panel de grains», celui qui rendra le mieux. Ce travail de l’accroche, de la couleur ou du grain suivra donc un parcours similaire à tout produit en cuir, selon Davy Dao. Celui-ci vante également une consommation en eau «inférieure à 95 %» à celle de la fabrication d’un objet en cuir.
D’autres marques ont émergé sur le créneau des matières innovantes, ou de l’alternative au cuir ces dernières années : à base de feuilles de bananiers, d’ananas, d’agrumes… Quasiment tout le potager peut y être représenté. Même le secteur du luxe s’est pris au jeu. La marque de haute couture Hermès a sorti un sac à base de racines de champignons en 2021, en collaboration avec l’entreprise MycoWorks. La matière est ensuite tannée et apprêtée par Hermès «pour affiner sa résistance et sa durabilité», précisaient les entreprises dans un communiqué. «Associant qualité, souplesse, durabilité et polyvalence en production», Gucci a aussi proposé son propre matériau végétal, Demetra, en 2021. Les sacs et baskets écoresponsables du couturier italien contiennent «jusqu’à 77 % de matières premières d’origine végétale».
En France, le président du Conseil national du cuir, Frank Boehly, estime cependant que les appellations comme «les cuirs de…» sont trompeuses : «Le consommateur se dit que c’est une très bonne démarche», mais «il achète un produit avec un tout petit peu de matière végétale et beaucoup de matière synthétique», car elles «n’ont pas la structure interne suffisamment résistante pour fabriquer les produits qui sont faits en cuir». «Et même en y introduisant la matière synthétique, elles n’ont pas la solidité» du cuir. «La position de la filière cuir n’est pas du tout de combattre ces matières, de très nombreux produits sont fabriqués dans d’autres matières», insiste Frank Boehly.
Avec une tonne de lin, on peut en utiliser 980 kilos en produit fini, ce qui n’est pas le cas avec le cuir
Ces matières nouvelles ont émergé il y a environ cinq ans, mais leur bilan est depuis «contrasté» malgré un écho médiatique important, souligne Éric Briones, directeur général du Journal du Luxe. Pour lui, le marché du luxe se caractérise par «l’ultradomination de la désirabilité du cuir animal» et des peaux rares. Si ces produits répondent aux attentes des consommateurs en termes de bien-être animal et d’écologie, «il y a des interrogations sur leur durabilité et leur qualité», estime Éric Briones, tout en constatant que pour la fourrure, «la transition s’est faite».
L’avantage de ces matières issues de l’agroalimentaire est qu’il y a moins de déchets, «on utilise tout de A à Z», note Thomas Ebele, du label Slow We Are, auteur de La Face cachée des étiquettes. «Mais parfois, c’est une fausse bonne idée qui légitime des moyens de production ou des modèles économiques surproductifs», mauvais pour la planète. Car certaines de ces matières impliquent aussi de nouvelles cultures non endémiques ou des «empiètements d’industriels sur les forêts primaires», observe-t-il. Par ailleurs, ces matériaux sont «difficiles à trouver» dans le commerce, note Frank Boehly.