Trente-deux entreprises luxembourgeoises issues de huit secteurs économiques se sont engagées en faveur de l’adoption d’une législation nationale sur la diligence.
Hasard du calendrier dans une semaine où l’adoption de stratégies pour rendre l’économie et la finance luxembourgeoises plus vertes côtoie le scandale OpenLux, l’Initiative pour un devoir de vigilance a annoncé hier au cours d’une conférence de presse l’engagement de trente-deux entreprises luxembourgeoises en faveur de l’adoption d’une loi nationale en matière de droits humains et environnementaux.
«On parle actuellement d’OpenLux, mais nous proposons et présentons une autre dynamique, qui se veut elle aussi « open » : des entreprises qui sont ouvertes à l’adoption d’une loi nationale dans le domaine des droits humains et de l’environnement. Dans l’économie luxembourgeoise, il y a aussi des acteurs qui veulent aller dans la bonne direction», a commenté d’emblée Jean-Louis Zeien, président de Fairtrade Lëtzebuerg et membre de la plateforme qui réunit 17 organisations de la société civile militant pour un devoir de vigilance.
Luxlait, Thyssenkrupp, Robin, BIOG, l’ULESS (l’Union luxembourgeoise de l’économie sociale et solidaire, qui regroupe plus de 200 acteurs économiques)… Tant des petites et moyennes entreprises que des plus grandes dont le chiffre d’affaires s’élève à plusieurs millions d’euros ont répondu à l’appel de l’Initiative et ont accepté de s’engager publiquement vis-à-vis d’une loi contraignant les entreprises à un devoir de vigilance.
«Je suis moi-même fermier, explique Marc Reiners, le président du CA de Luxlait, je veux être respecté et cela doit être la même chose pour tous les fermiers, où qu’ils soient dans le monde ! Et il faut aussi respecter la matière première.» Aussi Marc Reiners n’a-t-il pas hésité une seule seconde à s’engager lorsque Jean-Louis Zeien l’a contacté. «Comme nos collègues l’ont fait à l’étranger, nous avons pris contact avec des chefs d’entreprise qui avaient déjà cette sensibilité, voire ont pris des engagements concrets en ce sens», explique ce dernier. «Nous n’avons pas cherché à contacter des acteurs dont on sait qu’ils violent les droits humains, car l’idée n’est pas d’avoir avec nous toutes les entreprises du pays, mais des acteurs qui s’engagent en faveur d’une législation, même si nous espérons que d’autres nous rejoindrons. C’est un processus sur le long terme», complète Antoniya Argirova, responsable plaidoyer au sein d’Action solidarité tiers monde, également membre de l’Initiative pour un devoir de vigilance.
Une loi contraignante avec des avantages
Car «les engagements volontaires ne suffisent pas. Il est nécessaire que la diligence raisonnable obligatoire soit mise en œuvre de manière adéquate par tous», répètent inlassablement les membres de l’Initiative. Un point de vue que partage indubitablement la population, puisqu’une enquête TNS Ilres a révélé que plus de 90 % de la population résidente soutient l’adoption d’une telle loi (lire notre édition du 08/12/2020).
Plus surprenant peut-être, même le secteur financier, pilier de l’économie nationale, commence à se positionner dans cette dynamique. D’après une étude récente menée par l’ASBL Finance and Human Rights pour Luxembourg for Finance, citée par l’Initiative, une majorité d’experts financiers de l’industrie estiment ainsi que «les gouvernements doivent fixer des normes juridiques claires».
Il faut dire que bien que contraignante, puisque les entreprises seraient tenues de respecter des normes et ne pourraient se soustraire à leurs responsabilités sans conséquences, une loi sur le devoir de vigilance peut présenter des avantages pour les entreprises, sur le plan tant financier que juridique, en raison du caractère préventif de tels règlements. «Les entreprises peuvent mieux gérer les risques liés à leurs activités. D’autant qu’en cas de dommage par exemple, les coûts de réparation peuvent être très importants et dépasser largement ceux liés à la prévention», explique Antoniya Argirova.
La loi peut aussi prévenir un impact négatif sur la «réputation» même de l’entreprise, comme l’a souligné Clément Wampach, directeur de Thyssenkrupp ascenseurs Luxembourg. Au contraire, elle peut même représenter un avantage concurrentiel pour les entreprises qui s’engagent à faire de la diligence raisonnable, les consommateurs étant de plus en plus sensibles à cette question.
«Non seulement une législation crée à la fois une sécurité juridique et des conditions de concurrence équitables, mais en plus, d’après l’étude « Good Business : The Economic Case for Protecting Human Rights », à laquelle a participé l’université du Luxembourg, le futur paysage des entreprises et des droits humains sera défini par les «Millennials», c’est-à-dire la génération née entre les années 1980 et 2000, qui représentera d’ici 2025 jusqu’à 75 % de la population active mondiale, prévient Antoniya Argirova. Or c’est une génération plus consciente des questions environnementales et sociales que les précédentes et plus prompte à évaluer une entreprise en fonction de son impact sur ces questions. La diligence devient une norme. Espérons que les législateurs entendent le message !»
Tatiana Salvan
Devoir de vigilance et de diligence
Amnesty International et l’OCDE définissent le devoir de vigilance comme «l’obligation faite aux entreprises multinationales d’être vigilantes dans toutes leurs activités et de respecter une norme de « diligence raisonnable »», c’est-à-dire le processus, qu’elles doivent mettre en place, «pour identifier, prévenir, et atténuer les impacts négatifs réels et potentiels de leurs activités, de leur chaîne d’approvisionnement et de leurs relations d’affaires mais aussi pour rendre des comptes de la manière dont ces impacts sont traités».