Inadapté aux pays pauvres, outil d’une domination du Nord sur le Sud : le système financier international et de l’aide multilatérale, hérité de l’après-guerre, est frontalement remis en cause au sommet des pays les moins avancés (PMA) de Doha.
Réunis depuis samedi et jusqu’à jeudi au Qatar, les 46 pays les plus pauvres du monde, dont 33 sont africains, réclament une révision complète du modèle économique mondial hérité des accords de Bretton Woods en 1944, créateurs notamment du Fonds monétaire international (FMI).
La catégorie de PMA était censée permettre à ses membres de bénéficier de privilèges en termes de commerce et d’aide et de financements divers. Mais les 24 pays ainsi désignés en 1971 ont depuis doublé en nombre.
Ils sont aujourd’hui les premières victimes du réchauffement climatique, sont accablés par l’inflation des produits alimentaires et énergétiques consécutive à la guerre en Ukraine et croulent sous des dettes dont ils peinent à payer ne serait-ce que les intérêts.
Et pour nombre de chefs d’État et de gouvernements présents au Qatar sous l’égide des Nations unies, le système qui régit l’aide du nord vers le sud est responsable de leur enfermement dans la pauvreté.
« Le moment est venu pour les 12 organisations internationales comme l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) et les banques de développement multilatérales d’arrêter d’utiliser le PIB par habitant comme seule mesure du développement », a déclaré Wavel Ramkalawan, président des Seychelles, un des rares PMA à avoir réussi à quitter la catégorie.
« Par et pour les riches »
« La taille unique ne fonctionne pas! Nous devons admettre les besoins de pays avec des vulnérabilités uniques », a ajouté le chef de l’État de ce tout petit pays insulaire.
Le président du Timor oriental a pour sa part accusé le Nord d’imputer au Sud la faillite de ses choix. « Nos partenaires ont tendance à rendre le récipiendaire responsable des échecs, plutôt que d’examiner ses propres programmes d’aide », a déclaré José Ramos-Horta.
La crise du Covid-19 est régulièrement citée comme un exemple : les pays les plus pauvres, vite débordés par la pandémie, ont d’abord été sevrés de vaccins avant de devoir emprunter encore pour gérer la crise.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, l’a affirmé dans son discours d’ouverture : « Le système financier mondial profondément biaisé – conçu par les pays riches pour bénéficier aux pays riches – propose aux PMA les traitements les plus injustes. »
Les grandes institutions sont ainsi montrées du doigt, Banque mondiale et FMI en tête, accusées d’imposer l’austérité et l’orthodoxie budgétaire au nom de logiques auxquels les pays pauvres ne peuvent que se soumettre.
Le Programme de l’ONU pour le développement (PNUD) l’a révélé fin février : 52 pays sont soit surendettés, soit au bord du surendettement et potentiellement en défaut de paiement.
« Allègement, restructuration, annulation »
D’où ce constat de la vice-Première ministre du Lesotho, Nthomeng Majara : « Le poids de la dette et les intérêts deviennent un défi de plus en plus grand pour les PMA (…). Il y a un besoin urgent de mener l’allègement de la dette, sa restructuration et son annulation. »
Mais en explosant en volumes, la dette est devenue une manne. La Chine en est devenue le premier pays détenteur, mais elle reste bien en deçà des institutions multilatérales et des acteurs privés.
En parallèle aux interventions officielles, quelques dizaines de militants de la société civile débattaient à Doha des mêmes questions. Le système « favorise des solutions guidées par le marché pour régler des problèmes de politique publique et l’Histoire nous a appris que cela ne fonctionnait pas », assure Jason Rosario Braganza, économiste kényan et directeur général de l’ONG Afrodad.
« Nous devons essayer de rendre le multilatéralisme de nouveau pertinent », abonde Marina Durano, membre du syndicat international UNI. « Nous savons tous à quel point la situation est injuste ».
Lidy Nacpil, militante philippine spécialiste de la question de la dette, dénonce pour sa part ceux qui « utilisent le prêt et le soulagement de la dette pour imposer des politiques. » Une réforme, pour elle, n’est même plus envisageable. Il faut tout repenser et tout reconstruire. « Il est grand temps d’en finir avec les institutions de Bretton Woods. »