Un rapport d’experts de l’UE remis fin mars préconise d’inclure le nucléaire dans une liste d’investissements « durables » respectueux du climat que Bruxelles est en train d’établir : un scandale pour des ONG environnementales mais un succès pour la France, qui en fait un cheval de bataille.
En juin 2019, un groupe d’experts sur la finance durable concluait que l’énergie nucléaire, qui n’émet pratiquement pas de CO2, pouvait « contribuer à atténuer le changement climatique » – mais sans conclure sur ses dommages environnementaux potentiels.
La Commission européenne a chargé son service scientifique (Centre commun de recherche, CCR) de déterminer si l’atome pouvait intégrer sa liste des énergies considérées comme vertueuses à la fois pour le climat et l’environnement (« taxonomie verte »), susceptible d’en faciliter le financement.
Des experts confiants
Dans leur rapport rendu fin mars, les experts du CCR estiment qu’ « aucune analyse ne fournit de preuves scientifiques que l’énergie nucléaire porte atteinte à la santé humaine ou à l’environnement davantage que les autres énergies » incluses dans la taxonomie. « Si l’on considère les effets non-radiologiques, les impacts de l’énergie nucléaire sont essentiellement comparables à l’hydroélectrique et aux énergies renouvelables », précisent-ils. Quant aux effets radioactifs, « des mesures prévenant les impacts nocifs ou limitant leurs conséquences peuvent être établies, avec les technologies actuelles, à coût raisonnable ».
Enfin, l’enfouissement géologique des déchets nucléaires est un « moyen approprié et sûr » de les isoler efficacement, même si les technologies nécessaires « n’ont jamais été expérimentées sur le long terme », faute de site opérationnel en Europe. Si les accidents nucléaires graves « ne peuvent être exclus à 100% », ils restent d’ « une probabilité extrêmement basse ».
Ce que dénoncent les ONG
Pour l’ONG Greenpeace, ces experts se fondent sur des « hypothèses en contradiction avec la réalité, sur les coûts et délais de construction de centrales, le soi-disant recyclage des déchets, la faisabilité et l’impact du stockage ». L’organisation dénonce aussi un CCR « structurellement pro-nucléaire », en raison de sa proximité avec les industriels, via des partenariats de formation, des plateformes de recherche, ou la coordination du traité Euratom destiné à doper l’atome civil.
« Dire que le nucléaire a le même impact que les énergies renouvelables, effets radioactifs mis à part, c’est stupéfiant (…) Le problème majeur, c’est précisément les risques radioactifs associés au démantèlement de centrales, aux déchets, aux dangers d’explosion », observe Sébastien Godinot, expert du WWF.
L’UE divisée
L’avis du CCR n’entraîne pas automatiquement la reconnaissance du nucléaire comme énergie durable: son rapport sera révisé par des experts en radioprotection et gestion des déchets nucléaires, puis par un comité scientifique de la Commission chargé de la santé et de l’environnement.
Ils devront se prononcer sous trois mois, avant que l’exécutif européen ne tranche. La « taxonomie » proposée pourra être rejetée par les eurodéputés ou une majorité d’États membres. Or, ces derniers apparaissent divisés : si l’Allemagne ou l’Autriche sont opposés au nucléaire, la France et la Pologne, notamment, multiplient les déclarations de soutien.
Quel enjeu ?
Les pays pro-nucléaires y voient une solution bas carbone pour atteindre leurs objectifs climatiques: l’inclure dans la taxonomie les aiderait à financer de nouvelles centrales en accédant à la finance verte.
Mais « la taxonomie seule ne sauvera pas le secteur nucléaire », dont les coûts ne cessent d’augmenter (mesures de sécurité accrues, technologies plus onéreuses…) face à l’essor d’énergies renouvelables meilleur marché, estime M. Godinot.
Pour autant, face à la production discontinue des renouvelables et au gaz fossile émetteur de CO2, « le nucléaire est la principale source d’électricité à bas carbone dans l’UE, fournissant (…) une électricité de façon fiable et rentable 24h sur 24 », martèle Sama Bilbao y León, directeur de la World Nuclear Association, fédération mondiale du secteur.
LQ/AFP
Comme si nous n’avions pas assez de déchets comme cela !