Le plongeon accéléré des prix de l’or noir pourrait déstabiliser le secteur bancaire américain qui a financé à coup de milliards de dollars le boom des pétrole et gaz de schiste aux États-Unis.
«Les banques sont le reflet de l’économie», avance Justin Fueller, analyste chez Fitch, faisant observer que si elles toussent c’est le signe que les choses ne vont pas bien.
Depuis une dizaine de jours, les institutions financières américaines, grandes et moyennes, annoncent les unes après les autres un renforcement des réserves destinées à couvrir des impayés des sociétés d’exploration et de production pétrolière et gazière, qui sont dépassées par la chute inexorable du cours du baril d’or noir, passé en un an et demi de plus de 100 dollars à moins de 30 dollars. A ce niveau, ces entreprises perdent au total 2 milliards de dollars par semaine, estime le cabinet AlixPartners.
Première banque américaine, JPMorgan Chase a mis de côté 124 millions de dollars et averti que cette enveloppe pourrait être portée à 750 millions si le prix du baril de pétrole restait aux alentours de 30 dollars pendant un long moment.
Ces réserves s’élèvent à 300 millions de dollars chez Citigroup et pourraient augmenter car la banque prévoit des pertes sur crédits de 600 millions de dollars dans l’énergie au premier semestre. «Ce n’est pas suffisant», estime Gregory Volokhine, gérant de portefeuille chez Meerschaert, résumant le sentiment dominant sur les marchés. «On a l’impression que [les banques] ne disent pas tout».
«Le problème actuel des banques est que personne n’est en mesure de quantifier le risque» lié au pétrole, estime Richard Bove chez Rafferty Capital.
Contagion
Cette incertitude plombe le KBW, indice regroupant les valeurs bancaires à Wall Street, qui a reculé d’environ 15% depuis janvier, soit une de ses plus fortes baisses depuis février 2009 aux heures noires de la crise financière.
L’exposition de Bank of America (BofA) à l’énergie était de 21,3 milliards de dollars fin décembre, 20 milliards pour Citigroup, 17 milliards pour Wells Fargo et 13 milliards pour JPMorgan. Goldman Sachs, a elle, octroyé pour 10 milliards de dollars de crédits aux entreprises énergétiques, tandis que Morgan Stanley en a accordé pour 4 milliards.
Le remboursement de ces prêts est jugé incertain, certaines sociétés débitrices ayant fait faillite, tandis que d’autres ont suspendu des projets et licencié massivement leurs employés.
Le nombre de crédits en péril s’élevait en 2015 à 34,2 milliards de dollars, calculent la banque centrale américaine (Fed) et les régulateurs bancaires américains FDIC et OCC. Environ 39 PME du secteur énergétique aux États-Unis ont fait faillite en 2015, selon le cabinet Haynes and Boone.
«Non seulement certaines entreprises ne vont pas rembourser leurs prêts, mais elles vont devoir licencier beaucoup de personnes qui ont contracté des crédits immobiliers, des crédits auto et des crédits à la consommation», explique Richard Bove.
Ce risque de contagion aux autres secteurs de l’activité économique réveille les démons de la crise des crédits immobiliers toxiques «subprime». M. Bove observe toutefois que le poids des crédits énergétiques est «faible» comparé aux subprime qui représentaient à l’époque au moins la moitié des prêts accordés par les banques.
En plus, «l’argent a été souvent prêté à ExxonMobil, Chevron et d’autres sociétés solvables, alors que l’argent du subprime était avancé à des particuliers aux revenus faibles», argue l’analyste.
Autre différence notoire: Les bilans des banques sont plus sains qu’en 2008, affirme Justin Fueller. Contraintes par les régulateurs de renforcer leurs fonds propres, les établissements financiers sont mieux préparés, selon l’expert, pour absorber des pertes.
Les patrons de grandes banques sont montés au créneau pour tenter de rassurer. Ils affirment par exemple que la part des prêts liés à l’énergie est minime comparé à la totalité des crédits accordés, soit 3% en moyenne. Jamie Dimon, le PDG de JPMorgan, assure que ces crédits sont souvent adossés à des actifs – plates-formes pétrolières, puits – que la banque pourrait si besoin vendre pour récupérer une partie de sa mise. Encore faudra-t-il trouver des acheteurs…
AFP/M.R.