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L’avenir post-Brexit de la City reste à jouer


"Même si des équivalences sont mises en place, les marchés vont vouloir moins dépendre de bases britanniques pour leur activités (en Europe), sachant que les équivalences peuvent être révoquées", estime Mark Simpson, du cabinet d'avocat Baker Makenzie (photo : AFP).

Le Brexit est devenu réalité mais l’avenir des services financiers britanniques reste à jouer hors de l’UE, avec des négociations bilatérales qui ne font que commencer et des risques d’amaigrissement de ce secteur clé au Royaume-Uni.

L’accord commercial post-Brexit signé à Noël entre Londres et Bruxelles « n’est qu’un commencement, nous en avons encore pour des mois » de discussions, relève Simon Gleeson, avocat du cabinet Clifford Chance.

L’accord commercial entre Bruxelles et Londres, long de plus de 1 200 pages, ne fait qu’effleurer la finance, qui pèse environ 150 milliards de livres par an, bien plus qu’un secteur politiquement symbolique comme la pêche.

Les deux parties se sont fixé pour objectif de parvenir d’ici fin mars à un accord cadre sur la coopération dans les services financiers.

Hors de l’UE, la puissante City a dores et déjà perdu son « passeport », qui lui offrait un accès global au marché unique européen. La capacité à faire des affaires dans l’UE dépend à présent de l’obtention d’équivalences sur des domaines réduits et spécialisés, et facilement révocables.

Il y a en tout 59 domaines financiers d’équivalences. Si Londres en a déjà accordé aux sociétés financières européennes dans de nombreux domaines, Bruxelles n’en a pour l’instant accordé que deux: la compensation des dérivés, et le courtage de dérivés.

C’est moins que pour l’accord commercial existant entre l’UE et le Japon, note Clifford Chance, ce qui augure d’une réduction substantielle de l’accès aux marchés européens.

Pour le reste, le statu quo et le flou persistent jusqu’à la fin des négociations sur la finance.

D’autant que la Commission ne semble pas pressée d’accorder ces précieux sésames: elle examine actuellement 28 demandes d’équivalences mais a demandé des informations complémentaires.

Bruxelles veut que le Royaume-Uni s’engage à maintenir une forme d’alignement dynamique de sa réglementation financière.

Ce qui en soit, fait remarquer Simon Gleeson, n’est pas un problème car la réglementation européenne financière est largement l’oeuvre de Britanniques.

Mais politiquement, le gouvernement du Premier ministre Boris Johnson, qui a fait campagne pour le Brexit en appelant à s’affranchir de Bruxelles, aura du mal à accepter cette condition.

D’autant qu’au dilemme politique se joint un autre plus philosophique : le Royaume-Uni réclame la possibilité d’un alignement sur « les résultats » – « outcome » – mais réclame de pouvoir y parvenir par des règles pas forcément identiques à celle de l’UE.

Bruxelles y voit un cheval de Troie qui augurerait d’un relâchement de la réglementation et d’une concurrence déloyale, même si le gouvernement britannique répète à l’envie qu’il veut maintenir des normes prudentielles élevées.

Au moins 7 500 emplois délocalisés

Entre temps, les entreprises britanniques du secteur se sont préparées à une forte réduction des transactions financières avec l’UE.

Elles ont délocalisé au moins 7 500 emplois du Royaume-Uni vers des places comme Paris, Francfort, Dublin ou Amsterdam – bien moins que la crainte initiale de voir disparaître de la City jusqu’à 50 000 postes. Et déplacé 1 000 milliards de livres d’actifs.

Et si le début d’année s’est passé sans accroc sur les marchés de Londres ou de l’UE, les transactions dès lundi ont témoigné d’une forte migration du courtage des actions européennes depuis les plateformes britanniques vers des plateformes en Europe.

Parallèlement, nombre de banques britanniques ont déjà commencé à clore certaines relations commerciales avec des clients localisés en Europe, qui pourraient dans le flou juridique actuel se traduire par des litiges futurs.

Ce mouvement devrait s’accentuer. « Même si des équivalences sont mises en place, les marchés vont vouloir moins dépendre de bases britanniques pour leur activités (en Europe), sachant que les équivalences peuvent être révoquées », estime Mark Simpson, du cabinet d’avocat Baker Makenzie.

Il souligne toutefois que Londres devrait continuer à régner « en Europe dans des domaines comme le courtage ou la compensation de dérivés, le marché des changes ».

En outre, la migration de certaines activités de la City vers de multiples places accentue une certaine « balkanisation » de la finance européenne, remarque M. Simpson.

La City pourrait aussi largement choisir de se focaliser plus sur les affaires avec les places financières non européennes : Wall Street, Hong Kong ou Singapour, et dans la fin-tech ou la finance verte où elle est en pointe.

Abhinay Muthoo, professeur à l’université de Warwick, remarque que les services financiers britanniques exportés représentent 80 milliards de livres, et que l’UE en représente environ 20%. Donc le potentiel d’activité qui peut être perdu à court terme « aura un impact limité ».

Le risque, soulignent les experts, est de voir nombre d’entreprises choisir les places non européennes, notamment New York, pour leurs transactions et éliminer ainsi tout risque lié à la réglementation.

AFP