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« L’aide au développement doit servir à innover », plaide l’économiste Esther Duflo


(Photo : AFP)

L’aide internationale, au menu des discussions de l’Assemblée générale des Nations unies cette semaine, doit avant tout aider les pays pauvres à « innover en terme de politique sociale », a plaidé l’économiste française Esther Duflo, ancienne conseillère de l’ex-président américain Barack Obama sur les questions de développement.

Depuis 2000, l’ONU fixe des objectifs en matière de développement des pays pauvres. Quel bilan peut-on en tirer, la pauvreté a-t-elle reculé ?

Esther Duflo: L’histoire de la lutte contre la pauvreté, depuis les 30 dernières années, est pleine de succès. La grande pauvreté a fortement reculé (de 35% à 9%), la mortalité infantile a été divisée par deux, la scolarisation est devenue quasiment universelle au niveau primaire, etc. Sur la plupart des objectifs du millénaire, fixés par l’ONU en 2000, nous avons fait des progrès. Bien sûr, il reste des points d’ombre, des objectifs qui n’ont pas été atteints ou d’autres qui ne faisaient pas partie des objectifs initiaux mais qui sont importants quand même.

Vous avez appelé dans un ouvrage à « repenser la pauvreté », qu’entendez-vous par là ?

Notre vision de la pauvreté est dominée par des caricatures et des clichés: le pauvre paresseux, le pauvre entrepreneur, le pauvre affamé.
Si on veut comprendre les problèmes liés à la pauvreté, il faut dépasser ces caricatures et comprendre pourquoi le fait même d’être pauvre change certaines choses dans les comportements, et d’autres non ! Il faut comprendre les obstacles auxquels se heurtent les plus pauvres et essayer de réfléchir à comment on peut les faire partir.

Que faudrait-il changer pour que l’aide internationale deviennent plus efficace ? Est-ce une question de moyens, de méthode ?

Paradoxalement, il faudrait en fait arrêter de se poser la question de l’efficacité de chaque action pour se poser la question de à quoi l’aide sert en général. Trop souvent, le but de l’aide est en fait de soutenir l’économie du pays qui donne (en permettant au pays qui reçoit de faire des achats). Au mieux, l’argent se substitue directement à ce que pourrait faire le pays lui-même. Or, vu comme cela, il ne s’agit que d’une goutte d’eau dans la mer.

L’aide ne représente de toute façon qu’une toute petite partie du budget de la plupart des pays en développement. Alors à quoi peut servir l’aide ? Mon avis, et c’est ce que nous avons essayé de dire dans notre rapport final au président Obama, c’est que l’aide doit servir à aider les pays à innover en terme de politique sociale.
Beaucoup de ses innovations ne seront surement pas des bonnes idées (ce n’est pas facile d’innover), mais dans le tas, il y en aura et celles-là pourront être adoptées ailleurs: la recherche et l’innovation sont un vrai bien public mondial et c’est ça que la coopération internationale devrait financer.

Le Quotidien / AFP