En plein centre-ville de Bruxelles s’étend un océan de verdure sur les toits, des potagers de laitues, tomates et autres légumes à deux pas du Palais de justice. C’est le signe d’une pratique qui fait de plus en plus d’adeptes en Belgique comme ailleurs : l’agriculture urbaine.
Marchés bio, coopératives de producteurs, plateforme en ligne, vente au panier… Les initiatives se multiplient dans le « circuit court » alimentaire à Bruxelles. Mais ce secteur naissant dans la capitale belge peine encore à attirer les consommateurs, faute d’un modèle économique suffisamment abouti. « On est au tout début d’une dynamique, c’est une filière qui doit encore se professionnaliser », reconnaît Nathalie Guilmin, porte-parole de Bruxelles Environnement, la cellule environnementale de la Région Bruxelles-Capitale.
Bruxelles compte aujourd’hui des centaines de lieux de production en tous genres, potagers collectifs, fermes high-tech, exploitations communautaires. Et les points de vente éclosent dans la capitale, Bruxelles Environnement a recensé 37 commerces et 45 restaurants. Mais il reste à développer la logistique et une véritable filière de distribution. La difficulté est de faire travailler les acteurs « ensemble avec des volumes suffisants », observe Nathalie Guilmin.
L’Europe avance mais reste en retard
L’agriculture urbaine est loin d’être une tendance belge : des initiatives fleurissent depuis des années à travers le monde, où des centaines de toits, de Séoul à New York en passant par Paris, regorgent de jardins perchés, de ruches, de potagers. Même ceux de gratte-ciel. Au sol, des terrains vagues et des parkings sont aussi devenus jardins, poulaillers ou vergers, aux États-Unis notamment. Dans de nombreuses grandes villes, le maraîchage urbain a ainsi la cote. Paris s’est fixé comme objectif de végétaliser 100 hectares d’ici 2020 dont un tiers consacré à l’agriculture urbaine.
Selon Haïssam Jijakli, directeur du centre de recherche en agriculture urbaine de l’Université de Liège (est), la production alimentaire en ville sur le Vieux continent accuse toutefois un certain retard sur l’Amérique du Nord. « États-Unis et Canada ont commencé à intégrer de l’agriculture dans les villes au milieu des années 2000. C’est aussi présent en Europe, mais il y a encore du retard dans l’importance que prend le secteur sur notre continent », explique le spécialiste. Une étude sur les chaînes d’alimentation courtes en Europe réalisée en 2013 par l’Université britannique de Coventry, dans le centre du Royaume-Uni, a mis en évidence les défis que représentent pour elles le marketing direct, les livraisons multiples et les exigences d’hygiène.
La distribution notamment pèche, en raison de la difficulté de concilier un modèle de vente classique et les impératifs d’un circuit court où interviennent le moins d’intermédiaires possible. Le magasin Roots Store a ouvert dans le centre-ville il y a un an avec l’ambition de proposer des aliments produits « là où c’est le plus proche possible », raconte son cofondateur Aurélien Amaz, qui parvient à proposer 80% de produits belges. « On a commencé avec 300 produits. On se disait qu’il y avait largement assez, mais on a dû augmenter à 700 produits » pour répondre à la « demande de pouvoir faire tout dans un seul lieu ».
Un tiers de consommation locale
Car « le consommateur aujourd’hui n’a pas beaucoup de temps, il veut aller vite : il veut une grande surface où on trouve tout. Donc entre le désir de consommer localement et le passage à l’acte, il y a parfois une différence », analyse Haïssam Jijakli. « Comment mettre à disposition de ces consommateurs facilement ces produits locaux ? Là, il y a encore du chemin à faire. » Pour ce faire, les différents acteurs de la filière doivent mieux coopérer, estime Noémie Benoit, responsable marketing de la ferme Bigh, lancée en avril. Elle plaide notamment pour « des synergies » entre distributeurs et supermarchés.
La ferme Bigh, sur 4 000 m², est la plus grande ferme suspendue de l’Union européenne. Elle est installée sur les toits de la commune bruxelloise d’Anderlecht. Grâce à son système aquaponique mêlant pisciculture et agriculture traditionnelle, elle développe une vaste gamme de produits et les propose dans plusieurs enseignes de supermarchés classiques – au rayon des produits locaux – mais aussi en vente directe. Certaines petites et moyennes surfaces cherchent, elles, à s’unir pour mieux vendre les produits locaux : « On tente actuellement d’intégrer d’autres coopératives de producteurs, mais on songe aussi avec d’autres magasins à se regrouper pour faciliter la logistique », indique Aurélien Amaz.
Les autorités de la Région Bruxelles-Capitale avaient dévoilé en 2014 leur objectif concernant l’agriculture urbaine : qu’un tiers des fruits et légumes consommés proviennent de Bruxelles et de sa périphérie. Une réponse chiffrée est attendue bientôt avec la publication de la première étude quantitative sur les résultats de cette agriculture à Bruxelles.
Le Quotidien/AFP