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La dette des États explose, pas leurs taux d’emprunt


Paradoxalement, les investisseurs voient dans les plans de relance en centaines de milliards de dollars une raison d'avoir confiance dans les Etats et les autorités monétaires (photo : Mark Hodson/Flickr).

Si les besoins de financement des pays profondément ébranlés par la pandémie explosent, ce n’est pas du tout le cas des taux d’emprunt pour la dette des États, qui sert plus que jamais de refuge sur les marchés, du moins pour l’instant.

Début mars, la paralysie des économies pour lutter contre le coronavirus a certes secoué les investisseurs, mais au final les taux sont très modérément remontés. Et pour les stars du marché comme l’Allemagne et les États-Unis, ils sont même plus bas qu’au début de l’année. « Les dégâts sur les finances publiques s’annoncent très significatifs » avec une « récession profonde » attendue pour 2020, et « en temps normal tout cela conduit à une augmentation des taux d’intérêt » plus significative, explique Tony Stringer, responsable au sein de l’équipe notations souveraines de Fitch Ratings. Mais pas cette fois.

Paradoxalement, les investisseurs voient dans les plans de relance en centaines de milliards de dollars une raison d’avoir confiance dans les États et les autorités monétaires. « Nous n’avons jamais vu dans l’histoire une réponse aussi massive et synchronisée de la part des banques centrales et des gouvernements », estime Franck Dixmier, directeur des gestions obligataires d’Allianz Global Investors.

«Aucun pays n’est à l’index»

« Les achats des banques centrales vont au-delà de ce qui va être émis par les gouvernements » en termes de dette, relève aussi Isabelle Mateos y Lago, directrice adjointe de l’équipe en charge des institutions souveraines à BlackRock. Et dans ce contexte, observe-t-elle, « un grand nombre d’acteurs se réfugient dans les actifs considérés comme moins risqués », dette des Etats en tête.

Dans l’esprit des investisseurs, l’État est plus que jamais le dernier rempart, surtout s’il est soutenu par les banques centrales. Nombre d’États européens en ont d’ailleurs profité pour emprunter tout de suite davantage et cela « s’est plus que bien passé », témoigne Frédéric Gabizon, responsable pour le marché obligataire de HSBC France, à l’instar de l’Espagne qui a établi « un record absolu toutes devises confondues » en levant fin avril « 15 milliards d’euros à dix ans ».

Et « la grande différence par rapport aux crises précédentes, c’est que tous les États ont accès au marché. Comme le coronavirus touche tout le monde, aucun pays n’est à l’index, il y a une collégialité de l’impact », souligne-t-il. Sans compter que dans une telle configuration « les banques centrales n’ont pas le choix, elles vont devoir rester longtemps », ce qui maintient les taux bas note M. Dixmier, même si cela pose la question de la « frontière de leurs mandats ».

«Une montagne de dettes à éponger»

À ce sujet la Cour constitutionnelle allemande a jeté un pavé dans la mare mardi en demandant à la BCE de justifier ses rachats de dette publique. Cette décision n’est pas sans générer des inquiétudes, mais pour l’instant les investisseurs peinent à croire que le soutien sera remis en question. Personne ne doute par contre que la solvabilité des États va se dégrader, avec une montagne de dettes à éponger.

À moyen terme, la clé pour Mme Mateos y Lago sera le taux de croissance, « si celui-ci est supérieur au taux d’intérêt alors l’endettement peut être réduit tranquillement année après année ». Sinon l’austérité et les hausses d’impôts seront au rendez-vous. Et l’addition risque de ne pas être la même pour tous.

Gare aux pays plus vulnérables

En zone euro, l’Italie est ainsi surveillée comme le lait sur le feu. Dans le reste du monde, la situation sera aussi plus compliquée pour les pays émergents avec des banques centrales et des monnaies plus fragiles. L’Argentine, menacée de défaut, attend ainsi vendredi la réponse définitive de ses grands créanciers à un projet de restructuration de dette. Les 25 dégradations de notations déjà annoncées par Fitch le montrent déjà, souligne M. Stringer, avec une large majorité de pays émergents comme le Mexique, l’Afrique du Sud, l’Angola ou le Gabon.

Selon M. Stringer, « la crise exacerbe les faiblesses » qui étaient déjà présentes et l’Amérique latine, le Moyen-Orient et l’Afrique sont les régions les plus vulnérables. Et du FMI à la Banque mondiale, en passant par le G20, nombreuses sont les voix à s’élever déjà pour aider les plus pauvres à faire face à leurs échéances.

LQ/AFP