Arnaud Lagardère, héritier d’un empire aéronautique et médiatique français dont il a progressivement perdu le contrôle, a été inculpé lundi, soupçonné d’avoir puisé dans les comptes de ses sociétés pour financer son train de vie et ses dépenses personnelles pendant plusieurs années.
Au terme d’une journée d’interrogatoire par des juges d’instruction financiers, Arnaud Lagardère, 63 ans, « a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de gérer et l’obligation de fournir un cautionnement de 200.000 euros », a indiqué à l’AFP une source judiciaire.
Il a été inculpé pour « diffusion d’informations fausses ou trompeuses, achat de vote, abus de biens sociaux et abus de pouvoir et non-dépôt de comptes », selon cette source.
Il s’agit du dernier épisode du long feuilleton qui a vu Arnaud Lagardère perdre son aura et solder au fil des années le groupe fondé en 1992 par son père Jean-Luc, artisan de la fusion entre l’avionneur Matra et l’éditeur Hachette.
Les faits qui lui sont reprochés ont été commis entre avril 2009 et décembre 2022.
Arnaud Lagardère, qui a hérité de l’empire bâti par son père à son décès en 2003, est soupçonné d’avoir « fait financer son train de vie et ses dépenses personnelles en puisant dans les fonds des sociétés Lagardère SAS et Lagardère » (LCM), a détaillé la source judiciaire.
Pendant plusieurs années, ces sociétés « auraient notamment pris en charge des dépenses liées aux immeubles qu’il occupe ainsi qu’une créance successorale et de nombreuses avances en compte courant », a-t-elle ajouté.
En novembre 2019, le quotidien d’enquête la Lettre avait révélé que M. Lagardère refusait de publier les comptes de sa holding personnelle Lagardère Capital & Management (LCM), pour ne pas « rendre publique sa situation financière personnelle, en particulier son niveau d’endettement ».
Selon une source proche du dossier, l’affaire repose sur des irrégularités comptables qui sont restées dans le périmètre des sociétés personnelles d’Arnaud Lagardère et qui n’ont pas entraîné de préjudice financier pour le groupe Lagardère (médias, édition, distribution dans les gares et aéroports).
L’ancien directeur général délégué Pierre Leroy, pilier du groupe, a été inculpé le 10 avril pour « achat de vote, complicité d’abus de biens sociaux et présentation de comptes annuels inexacts » notamment, a indiqué la source judiciaire.
Dilettante
Arnaud Lagardère a fait toute sa carrière au sein du groupe familial dans lequel il est entré dès 1986, après l’obtention de son diplôme d’économie.
Trois ans plus tard, il est propulsé directeur général, puis part aux États-Unis, à la tête de l’éditeur Grolier récemment acquis, pour chercher des relais de croissance dans les médias numériques.
Il gagne outre-Atlantique ses galons de dirigeant, adoptant « la culture managériale américaine aux rapports très directs, parfois brutaux », analyse le journaliste Thierry Gadault, auteur de l’ouvrage « Arnaud Lagardère, l’insolent » (Maren Sell).
Lorsque Jean-Luc Lagardère décède brutalement des suites d’une intervention chirurgicale le 14 mars 2003, son fils unique lui succède.
Souvent ramené à sa condition d’enfant bien né, le nouveau dirigeant rompt avec l’aventure paternelle dans l’aéronautique et la défense, en vendant pour plus de deux milliards d’euros les parts du groupe dans EADS, la maison mère d’Airbus.
Certains voient dans cet éloignement des affaires quotidiennes le signe d’un patron dilettante et désinvolte, une réputation qui lui colle encore à la peau.
Arnaud Lagardère adopte aussi le style de l’entrepreneur moderne en s’affichant décontracté avec son épouse, la top-modèle Jade Foret de trente ans sa cadette, sur les réseaux sociaux et dans un film en 2011 pour un magazine belge, où le couple se mettait en scène dans un registre intime, s’attirant au passage des critiques.
« On ne m’y reprendra plus », avait dit par la suite au quotidien Les Échos le dirigeant au sourire enjôleur, assurant « vivre avec et pour (son) groupe depuis (sa) plus tendre enfance ».
En novembre 2023, la famille Bolloré et son géant des médias et de l’édition, Vivendi, ont pris le contrôle du groupe Lagardère, propriétaire notamment d’un réseau profitable de boutiques dans les gares et aéroports et de salles de spectacle célèbres (Casino de Paris, Folies Bergère…), mais aussi de médias comme Europe 1 et le Journal du dimanche.