Au Royaume-Uni et en Allemagne, le modèle d’affaires de certains fournisseurs d’électricité et de gaz se fracasse contre les cours élevés. Rien de tout cela au Luxembourg. Les acteurs du secteur nous expliquent pourquoi.
Allemagne, Royaume-Uni, France : si l’on ne se penche que sur ces trois pays, on constate qu’une véritable crise y secoue les fournisseurs de gaz et d’électricité. Tandis que le voisin français enregistre une réduction drastique du nombre d’offres en la matière – le distributeur E. Leclerc a même mis fin à ses contrats d’électricité, renonçant à des dizaines de milliers de clients – outre-Moselle, comme en Grande-Bretagne, la flambée des prix de l’énergie accule à la faillite des acteurs du secteur.
Et le Luxembourg, dans tout ça, avec ces hausses sur le marché qui se comptent en dizaines de pour cent depuis le début de l’année ? Eh bien, les fournisseurs de gaz et d’électricité y semblent bien plus sereins qu’ailleurs. Eida, fournisseur d’électricité verte basé à Beckerich, dit être «encore à l’écart de difficultés». Sudstroum concède tout juste que la hausse des prix de l’énergie pourrait «devenir un problème si les prix montent encore et restent sur ce niveau élevé». Le plus gros acteur du secteur, Encevo et ses filiales, et le plus modeste Electris, basé à Mersch, ne disent pas autre chose quand on les interroge.
Et tous mettent en avant, outre la conviction d’une baisse de la fièvre sur les marchés à la fin du premier trimestre 2022, le même facteur explicatif s’agissant de l’électricité : le refus d’un positionnement agressif sur le marché et la prudence. C’est-à-dire le fait de se montrer prévoyant en s’approvisionnant à l’avance en électricité à hauteur de ses ventes aux clients, et non pas s’en remettre à des achats au jour le jour sur le «marché spot» en spéculant sur la baisse du cours. Une stratégie risquée qui étrangle les acteurs qui proposent des prix fixes ou cassés à leurs clients résidentiels et qui ne peuvent plus suivre quand les cours s’engagent dans des hausses stratosphériques.
«Une stratégie d’achat prévoyante»
Paul Hoffmann, le gérant d’Electris, commentant les déconfitures dans d’autres pays européens, parle lui d’une question d’affinité au risque qui y est bien plus grande. Lui, comme Encevo, détaille la méthode qui, d’un côté, assure aux fournisseurs de se constituer un «stock» d’électricité à un prix raisonnable et, de l’autre, garantit aux clients, au moins ceux à prix fixe, de ne pas subir une hausse faramineuse. Encevo dit ainsi privilégier «une stratégie d’achat prévoyante en étalant les transactions sur une période plus longue», ce qui permet «de ne pas répercuter au client un à un chaque pic du prix du marché» en lissant les hausses excessives. Par exemple, chez Electris, le client résidentiel qui signerait un contrat en 2022 ne s’exposerait pas à payer un tarif exorbitant, car l’électricité qui lui serait fournie proviendrait d’achats effectués par le fournisseur en 2019, 2020 et 2021.
Le bénéfice de cette prévoyance n’est bien sûr valable que pour les clients qui ont actionné le parapluie du prix fixe. Pour ceux qui s’en remettent à un contrat à prix variable, inévitablement la hausse des cours se répercute sur la facture. Paul Hoffmann parle de 25% à 30% face à une hausse du cours de 100%. Le gérant d’Electris, à ce propos, souligne que les «gros clients» à qui il a pu proposer en début d’année, et donc à un tarif raisonnable, une reconduction de leur contrat qui arrive à échéance le 31 décembre doivent aujourd’hui se mordre les doigts d’avoir temporisé en escomptant une baisse des cours…
Enfin, quand on les interroge sur ce que le petit Luxembourg peut faire pour ne pas subir, impuissant, le déchaînement des marchés, les fournisseurs d’électricité et de gaz sont d’accord. Au-delà des solutions d’autoconsommation et d’efficacité énergétique au bénéfice des particuliers, il faut accroître la production d’énergie renouvelable (éolien et photovoltaïque essentiellement) dans le pays pour réduire la dépendance énergétique du pays.
En 2019, au terme de plusieurs années de développement constant de la filière renouvelable, 76% de l’électricité consommée dans le pays provenait encore des importations. Et quand on entend le gérant d’Electris se plaindre – «Nous sommes en train de développer un projet de parc éolien, mais cela fait 15 ans que ça dure, c’est très long» -, on comprend qu’il y a du pain sur la planche.
Manuel Santos
Le gaz : une autre affaire
La vente de gaz ne connaît pas les prix fixes. Le tarif est réévalué chaque mois. Comme le gouvernement en a fait état récemment, cela conduit à une répercussion immédiate du cours du gaz sur les prix. Pour le client domestique, cela signifie une augmentation du «prix intégré du gaz par mètre cube d’environ 73% par rapport à celui affiché au 1er janvier 2021».
Les fournisseurs luxembourgeois, contrairement à certains acteurs allemands, britanniques ou français dont la politique de prix agressive leur vaut des déboires, ne connaissent actuellement pas d’autre dommage que de s’attirer le mécontentement de leurs clients.