La fusée Falcon 9 de SpaceX a mis mercredi soir sur orbite le satellite GovSat-1 à partir de cap Canaveral en Floride. Une mission réussie en présence du couple héritier.
Sans prévenir, le Falcon 9 est parti. Il y a eu d’abord un étrange silence, puis le vrombissement s’est fait entendre. Sur le rivage du lac qui sépare le pas de tir des journalistes, pas un mot. L’opération s’est déroulée dans un silence religieux. Pas de commentaire non plus.
Mercredi, il a fallu répéter la même procédure que la veille en espérant que cette fois serait la bonne. Mardi, alors que la délégation savait déjà que le lancement était reporté au lendemain, les curieux et autres passionnés installaient encore leur caméra le long du rivage pour voir le Falcon 9 décoller avec le premier satellite gouvernemental luxembourgeois. «On a l’habitude de ce genre d’imprévu», lance un journaliste américain.
«On est un peu fébriles»
Évidemment, c’est toujours une déception, mais comme le dit le Premier ministre, Xavier Bettel, il vaut mieux être sûr et reporter que courir à la catastrophe. À l’entrée de la base, le porte-parole de SpaceX, John Taylor, réunit tous les représentants des médias toujours très encadrés. Les Luxembourgeois se déplacent en bus sur la base, parcourant des kilomètres de lignes droites qui forment un réseau impressionnant, mais monotone. Ici tout est désespérément plat. C’est dans ce décor, où la végétation fait la part belle aux palmiers, à la mangrove et aux palétuviers, que le Falcon 9 doit s’élancer du pas de tir 40, réservé à SpaceX. Le lanceur d’Elon Musk est le plus actif de cap Canaveral où il règne en maître comme les crocodiles dans les marais voisins.
On ne vient pas assister à un lancement en se présentant dix minutes avant l’heure H. Non, un lancement, ce sont des heures d’attente sur le site. Le cortège s’est donc mis en branle trois heures plus tôt. Les journalistes américains avec leur propre véhicule, la délégation média luxembourgeoise regroupée dans un bus. C’est à trois miles du pas de tir que tout le monde est déposé, le long du lac qui sépare cap Canaveral du Kennedy Space Center. Plus les minutes passent, plus la tension monte. SES, qui a connu de légers soucis avec Ariane 5 et son satellite, le SES 14, espère un succès complet pour cette opération avec SpaceX qui a dû changer un capteur défectueux durant la nuit.
«Quand il s’agit d’un de nos satellites, c’est un peu différent, mais cette fois on sait combien c’est important pour le gouvernement luxembourgeois, alors on est un peu fébriles», lâche Markus Payer quelques minutes avant le lancement. Il ne tient pas en place. À 16h30, heure locale, tout le monde souffle.
A cap Canaveral, Geneviève Montaigu
Les réactions :
Xavier Bettel, Premier ministre : «Le Luxembourg a toujours été un pionnier dans l’industrie spatiale et a une longue tradition de partenariats innovants avec des sociétés privées du secteur aérospatial. Le lancement de GovSat-1 est le début d’une nouvelle expérience aérospatiale pour le Luxembourg, après la création de SES en 1985 et le lancement du premier satellite SES il y a près de 30 ans. GovSat et le lancement de GovSat-1 représentent une nouvelle étape pour renforcer la position du Luxembourg en tant qu’acteur clé dans le secteur de l’aérospatial».
Étienne Schneider, vice-Premier ministre, ministre de l’Économie, ministre de la Défense : «Conformément aux lignes directrices de la défense luxembourgeoise 2025+, le projet GovSat-1 s’inscrit dans le cadre des efforts de modernisation de la défense en favorisant le développement de compétences spécifiques dans le domaine satellitaire. Par le biais d’un partenariat innovant avec SES, nous nous appuyons ainsi sur les compétences existantes de l’industrie spatiale du Luxembourg qui jouit déjà d’un rayonnement exceptionnel à l’échelle mondiale et qui voit ses activités renforcées par l’initiative luxembourgeoise SpaceResources.lu.»
Karim Michel Sabbagh, président et CEO de SES : «Le marché mondial des communications satellitaires gouvernementales est un solide moteur de croissance pour SES, et nous continuons à développer nos capacités pour répondre à ce secteur en plein essor. Le satellite GovSat-1 propose des capacités différenciées qui viennent compléter la gamme actuelle de SES pour les gouvernements et les institutions. Unique en son genre, cette solution a été rendue possible grâce au partenariat avec le gouvernement luxembourgeois.»
Patrick Biewer, directeur de LuxGovSat : «Le lancement de GovSat-1 ouvre une ère nouvelle pour la connectivité satellitaire sécurisée destinée aux gouvernements et aux institutions. Il apporte des capacités différenciées sur les bandes sécurisées X et Ka militaires, en s’appuyant sur l’efficacité du secteur privé et un solide soutien gouvernemental. GovSat-1 a été conçu pour répondre aux attentes spécifiques des clients gouvernementaux, et permettra un large éventail d’applications de défense et de sécurité civile, même dans les zones les plus reculées.»
Sasha Baillie, travailleuse de l’ombre
Elle ne fait pas de politique, elle n’est membre d’aucun parti, mais elle est une des éminences grises des ministères de l’Économie et de la Défense.
Sasha Baillie est en quelque sorte la maman de LuxGovSat en plus d’être la présidente de son conseil d’administration. Sasha Baillie, premier conseiller de gouvernement et diplomate, a de quoi être «euphorique», comme elle nous le confie et éprouver «un grand soulagement». Débauchée par le ministre de l’Économie et de la Défense, Étienne Schneider, qui l’a chipée à son collègue des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, Sasha Baillie a été approchée par la Société européenne des satellites (SES) basée à Betzdorf qui lui a soufflé l’idée d’un satellite militaire.
«Cela tombait bien, car le gouvernement devait justement s’engager à augmenter sa contribution à l’OTAN. J’ai trouvé l’idée plutôt bonne, car le Luxembourg a des compétences en matière satellitaire», explique la présidente du conseil d’administration de LuxGovSat. Une équipe réunie autour d’elle a commencé à élaborer le projet. «Il fallait le réaliser en un temps record, car nous devions nous décider pour occuper une position orbitale avant la fin du mois de décembre», poursuit-elle.
Approchée en juin 2014 par SES, elle disposait alors de six mois pour créer une coentreprise entre la société et le gouvernement luxembourgeois et surtout pour rédiger un projet de loi. «Il fallait réunir tous les éléments pour justifier un tel investissement de l’État et régler les questions de sa responsabilité», complète-t-elle. «Si nous avions eu le moindre doute, nous ne l’aurions pas fait», affirme Sasha Baillie.
Le projet de loi avait été adopté à la Chambre des députés le 10 décembre 2014 par 58 voix pour, seuls les deux représentants de déi Lénk, dans leur rôle, ont voté contre.
«Pour nos alliés»
LuxGovSat est financé à hauteur de 225 millions, soit 50 millions pour l’État, SES en a mis autant et LuxGovSat a eu recours à un emprunt de 125 millions pour compléter son financement. Une somme déjà en grande partie dépensée pour la construction du satellite, son lancement par SpaceX et faire assurer le tout. L’utilisation de ce satellite n’est pas encore claire pour tout le monde. Déi Lénk, par exemple, continue à croire que ce satellite pourrait être utilisé pour des drones armés.
«Non, c’est faux, affirme Sasha Baillie. Il n’est pas prévu technologiquement pour ce genre d’utilisation et cela n’a pas de sens, car ses capacités ne représentent pas du tout la solution idéale pour des drones.»
Ce satellite sera réservé à un usage de communications militaires et civiles ultrasécurisées. Sasha Baillie tient à préciser qu’il sera à la disposition «de pays alliés qui partagent les mêmes valeurs démocratiques que les nôtres». La société LuxGovSat qui l’exploite sera très regardante sur ce point. Si on estime à 20% le taux d’utilisation par l’OTAN, le reste des capacités sera loué à des pays et des institutions publiques qui ont des besoins en communication sécurisée.
Après GovSat-1 parti hier soir, y aura-t-il un GovSat-2 ? «Nous avons des idées et nous voyons beaucoup d’opportunités. Nous sommes approchés par de nombreux pays et d’autres acteurs qui veulent collaborer avec LuxGovSat», conclut Sasha Baillie.