L’Auteure de L’Éco en 40 schémas, Anastasia Melachrinos explique ce que sont les obligations vertes, les green bonds, un produit financier pour lequel le Luxembourg vise la place de leader mondial.
L’économiste Anastasia Melachrinos est l’auteure de L’Eco en schémas, un site internet expliquant l’économie avec des infographies simples à aborder. Le succès de son site a abouti à la parution en décembre de L’Eco en 40 schémas. Elle présentera deux infographies sur les obligations vertes (green bonds) et les Accords de Bâle lors d’une conférence à Luxembourg vendredi. Nous l’avons interrogé sur les green bonds, des obligations destinées aux investissements dans des projets de développement durable.
Qu’est-ce qui définit les green bonds, les obligations vertes?
Anastasia Melachrinos : Les obligations vertes fonctionnent fondamentalement de la même façon que les obligations classiques. D’un côté, on a des offreurs qui émettent des obligations et de l’autre côté, des demandeurs qui sont des investisseurs. Dans le marché des obligations vertes, il est intéressant de voir qui sont les émetteurs et qui sont les investisseurs. C’est là que se fait la différence avec les obligations classiques.
Et qui sont ces acteurs?
Au départ, les émetteurs et les investisseurs étaient des grandes institutions comme la Banque mondiale. Elle a été le premier émetteur d’obligations vertes en 2007, c’est donc assez nouveau. En 2013, il y a eu quelques acteurs privés qui sont arrivés sur ce marché comme émetteurs. Il y a eu notamment Apple, qui voulait devenir son propre fournisseur d’énergie renouvelable, et a émis des obligations vertes dont le montant atteint aujourd’hui 2,5 milliards de dollars. Les émetteurs se diversifient donc petit à petit. Depuis 2017, il y a aussi les États parmi lesquels on peut citer la France qui, avec 7 milliards d’euros, a émis la plus grande obligation verte. Du côté des investisseurs, il y a notamment les fonds ISR (investissements socialement responsables) qui en achètent. Sinon, le fonctionnement du marché des green bonds est exactement le même que celui des marchés obligataires classiques : les émetteurs remboursent et versent des intérêts aux investisseurs.
Qui sont les émetteurs privés?
Globalement, ceux qui financent des infrastructures et qui ont des objectifs plus ou moins verts en investissant par exemple dans la gestion durable des déchets, les énergies renouvelables, etc.
Qu’est-ce qui garantit à l’investisseur que l’argent est destiné à des investissements verts?
Plusieurs choses sont en place. Le caractère vert est d’abord contrôlé par des intervenants externes, des second opinions. Ils vérifient par exemple la conformité aux green bonds principles qui évaluent l’impact environnemental des projets, s’ils sont réalistes et vraiment verts. Il s’agit de déterminer où ces investissements se placent sur la palette du durable. Une autre opinion est la note attribuée par les agences de notation. Enfin, il y a le reporting réalisé par les émetteurs tout au long de la durée de vie de l’obligation.
La valeur des obligations vertes est aujourd’hui évaluée à quelque 1 000 milliards d’euros sur un marché obligataire qui atteint plus de 100 000 milliards d’euros. N’est-ce pas une goutte d’eau?
Ce faible chiffre est lié au fait que ce marché est très récent et surtout à une définition encore floue de que ce qui est plus ou moins vert. Mais c’est en cours de construction et la Commission européenne est de train d’élaborer le Green bond standard, une classification et une mise en commun des initiatives privées de classification des actifs verts. Il s’agit d’obliger les gestionnaires d’actifs à renseigner les investisseurs sur la durabilité des investissements. Beaucoup d’initiatives privées veulent s’assurer que les investissements soient verts et non pas à demi-vert. Tout cela n’est pas encore suffisamment en place et il faut davantage de grandes institutions comme la Banque mondiale ou d’entreprises comme Apple qui constitue une exception si on la compare à des sociétés comme Amazon ou Microsoft.
Il s’agit donc d’une question de temps?
La taille encore modeste de ce marché n’est en tout cas pas dû au fait que les investisseurs n’en veulent pas. Au contraire : il y a une réelle demande des grands fonds de pension, des États ou des citoyens qui veulent des placements plus éthiques et plus verts. On est en présence d’un marché certes petit pour l’instant, mais qui connaît une grande expansion.
Il serait donc prématuré de vouloir tirer un bilan des impacts environnementaux des obligations vertes?
D’autant que la maturité des obligations vertes est assez longue, à plus de 20 ans pour la plupart. Leur impact ne sera pas mesurable tout de suite. Mais il y a un réel intérêt et une volonté qui se déploient dans le cadre plus large de la finance verte et il faudra regarder l’ensemble des initiatives prises dans ce contexte.
La crise de 2008 a fortement entamé la confiance du public dans la finance. La finance verte est-elle, selon vous, crédible pour relever les défis environnementaux auxquels nous faisons face?
Je pense que la finance verte sera à même d’accomplir les buts qu’on lui attribue : accroître la rentabilité des actifs verts, aligner les initiatives privées dans la lutte contre le réchauffement climatique et intégrer le risque climatique et environnemental dans la gestion des risques financiers. Tout cela n’est pas encore très développé, mais je pense que c’est une bonne initiative que d’utiliser les capitaux financiers pour la bonne cause.
À l’inverse de la finance verte, l’on voit apparaître l’idée de produits financiers misant sur les catastrophes environnementales ou la disparition d’espèces. Ces produits ne risquent-ils pas d’annuler les effets de la finance verte?
Il s’agit de la dimension morale de la finance. Mais à analyser le fonctionnement de l’économie et de la finance, l’on voit que la question n’est pas de savoir si la finance est morale. C’est le résultat qui compte et peu importe la motivation des agents. C’est la vision utilitariste qui domine. Au moins deux raisons peuvent pousser les acteurs de la finance à s’y intéresser sérieusement, mais cela n’a rien à voir avec la morale : c’est la demande des investisseurs et les risques économiques réels du changement climatique, son impact. Si les acteurs veulent proposer des rendements importants à long terme, ils doivent tenir compte de cet impact sur l’économie. Il s’agit en quelque sorte d’une morale cachée.
Le développement de la finance verte dépend dès lors de la rentabilité. Est-ce rentable d’acheter des obligations vertes?
Sur le long terme ça peut l’être puisqu’on cherche à intégrer les nouveaux risques, les risques climatiques dans les actifs. De toute façon, les États et les grandes institutions veulent mettre en avant ces actifs et pour cela il faudra accroître leur rentabilité. Dès le moment où il y a une demande, cela devient rentable.
La finance verte est parfois accusée de n’être que du greenwashing. Deux exemples sont souvent cités : BNP Paribas et Société générale, deux banques présentes sur le marché des obligations vertes qui financent également des projets polluants dans les hydrocarbures…
Pour en sortir, il faut finaliser la classification des actifs verts, voir ce qui est vraiment vert et ce qui ne l’est pas. Dans les énergies renouvelables, il y a par exemple le problème des éoliennes dont le processus de production est loin d’être vert. En ce qui concerne des banques comme BNP Paribas et Société générale, je ne pense pas que ce soit du greenwashing. Elles sont sur le marché des obligations vertes, mais en même temps l’on sait que le pétrole reste l’énergie la plus efficace et la plus rentable et nous ne savons pas nous en passer. Arrêter de financer ce secteur aboutirait à une perte brutale du niveau de vie des citoyens et des agents économiques. C’est une réalité physique et économique implacable nécessitant des arbitrages politiques et des choix de niveau de vie. Je ne pense donc pas que l’on puisse accuser ces acteurs bancaires de faire du greenwashing. Il faut certes moins financer les énergies très polluantes mais garder à l’esprit tous les aspects du problème.
Entretien réalisé par Fabien Grasser
Anastasia Melachrinos est animée par trois passions : l’économie, la pédagogie et le graphisme. En 2016, elle a transformé ce cocktail en site internet, «L’éco en schéma», qui explique l’économie de façon abordable et attrayante à travers des infographies. «J’ai voulu aider mes camarades et mon entourage à comprendre l’économie qui est une science passionnante mais parfois complexe et très mal expliquée», relate la jeune femme, actuellement étudiante en master d’économie à Sciences Po Paris. «Le constat principal que j’ai fait en commençant ce projet est qu’un schéma vaut mieux que mille mots», poursuit-elle. Face au succès rencontré par son site internet, Anastasia Melachrinos a été contactée en 2018 par un éditeur qui lui a proposé de publier un livre sur le même modèle. C’est ainsi qu’est né L’Éco en 40 schémas, cosigné avec Rémi Jeannin, un enseignant en économie. «Nous abordons à la fois l’Union européenne, la crise de la dette souveraine, le développement et l’environnement, le commerce international, la croissance. Il y a aussi quelques chapitres plus techniques comme les marchés ou la formation des prix», détaille l’économiste.
Un travail d’autant plus précieux que les auteurs placent un accent particulier sur les conséquences de la financiarisation de l’économie qui touche toutes les sphères de l’activité humaine. Anastasia Melachrinos a reçu en décembre le premier prix Vidéo Challenge à la Cité de l’économie pour sa vidéo sur la titrisation.
L’Éco en 40 schémas, aux éditions Delagrave (15,90 euros).
Le site L’éco en schémas : www.ecoenschemas.com
A l’invitation d’Etika et d’Attac Luxembourg, Anastasia Melachrinos donne une conférence sur les green bonds et les Accords de Bâle à L’Altrimenti à Luxembourg, ce vendredi 25 janvier à 12h15.