Après le clap de fin du projet Fage au Luxembourg, vu comme un échec par certains, le Premier ministre souhaite s’en servir pour renforcer l’attractivité du pays.
Le dossier Fage a créé quelques tensions dans la sphère politique et au sein du gouvernement ainsi qu’au sein de l’industrie luxembourgeoise.
Michèle Detaille, la présidente de la Fedil, a très clairement pointé du doigt Carole Dieschbourg, la ministre de l’Environnement. «La manière dont ce dossier a été traité par la ministre de l’Environnement et l’administration de l’Environnement va à l’encontre des intérêts du pays, et même de l’éthique. Ce n’est pas à ce ministère de dire qui vient ou ne vient pas. C’est de l’abus de pouvoir. Le dossier Fage a duré beaucoup trop longtemps et ne reflète pas l’avis du gouvernement tel qu’il figure dans l’accord de coalition», a-t-elle dénoncé dans une interview donnée à Paperjam. Visiblement remontée, Michèle Detaille s’est encore dite «scandalisée, déçue et en colère».
Un peu plus tard, lors du briefing du gouvernement, le Premier ministre, Xavier Bettel, a défendu avec nuances sa ministre de l’Environnement tout en balayant d’un revers de la main l’existence de tensions au sein de son gouvernement. «La décision de Fage est une décision unilatérale de l’entreprise. Ce serait un mauvais signal de donner l’impression que nous sommes hostiles à l’industrie et aux investisseurs qui veulent créer des emplois au Luxembourg. Il est très important de promouvoir l’attractivité du pays et nous devons tirer des leçons de ce dossier Fage», a assuré Xavier Bettel.
Le Premier ministre a expliqué que «dès le départ d’un tel projet, il faut un échange entre tous les ministères pour que les règles soient claires» avant de sous-entendre que cela n’a pas été le cas dans le projet de l’industriel grec qui, pour rappel, avait l’intention d’installer une usine de yaourt, très gourmande en eau, entre Bettembourg et Dudelange.
Pas de tensions au gouvernement ?
Xavier Bettel a ensuite réaffirmé qu’il n’y avait «aucune tension au sein de son gouvernement».
Pourtant, Franz Fayot, le ministre de l’Économie, n’avait pas caché sa déception après l’annonce du retrait de Fage alors que Carole Dieschbourg s’en était réjouie.
La ministre de l’Environnement a également expliqué mercredi matin au micro de la radio 100,7 qu’à l’avenir, il faudra vérifier si les projets des entreprises voulant s’installer au Luxembourg sont durables. Le projet de Fage appartiendrait toujours à une «vieille génération». «Pour éviter que cela ne se reproduise, le gouvernement souhaite créer un organisme spécial, qui examinera à l’avance la durabilité des projets», a encore souligné la ministre déi greng.
Xavier Bettel est allé dans le même sens. «Nous devons tirer des enseignements et dès le départ nous devons avoir des critères clairs et précis. La question n’est pas de savoir qui est pour et qui est contre, mais bien d’évaluer la plus-value d’un projet industriel afin de ne pas devoir payer la facture par la suite. Si nous attirons des entreprises au Luxembourg, il faut faire une évaluation sur l’emploi et la durabilité. Il ne faut pas attirer n’importe quoi», a martelé le Premier ministre.
Étienne Schneider, ministre-entrepreneur
Xavier Bettel a ensuite souligné que ce n’était pas à la ministre de l’Environnement de décider qui vient et qui ne vient pas au Luxembourg, mais qu’il s’agissait d’un travail de concertation entre les différents ministères. Pour cela, Xavier Bettel a affirmé «avoir mis en place des cellules interministérielles pour avoir un bon échange d’informations entre les différents ministères».
Du côté de l’opposition, notamment du CSV, le responsable de ce dossier bancal est tout trouvé en la personne d’Étienne Schneider, alors ministre de l’Économie en 2016 et premier soutien du projet.
Ainsi, l’ancien parti au pouvoir met en avant le manque de travail de l’ancien ministre et de ses équipes sur le sérieux du projet industriel, notamment après les récentes révélations sur la création de structures financières douteuses de Fage au Luxembourg.
À la décharge de l’ancien ministre et de ses équipes, le mandat d’Étienne Schneider a tout de même été marqué par l’annonce de plusieurs projets d’investissement d’envergure comme Fanuc en 2015 avec un investissement de 10 millions d’euros, Euro-Composites en 2016 et 2019 (221 millions d’euros d’investissement), Kronospan et un investissement de 330 millions d’euros en 2017, 340 millions d’euros d’investissement du côté de DuPont de Nemours ou encore 65 millions d’investissement du côté d’Avery Dennison en 2019.
D’ailleurs, en début d’année, au moment de son dernier discours en tant que ministre de l’Économie, Étienne Schneider s’était décrit comme un «ministre-entrepreneur» devant les industriels du pays rassemblés au nouvel an de la Fedil qui n’avaient pas manqué de louer son travail envers l’industrie.
Pour conclure, le Premier ministre a tout de même souligné que «si le projet Fage avait rempli l’ensemble des critères, la majorité des députés se serait exprimée en faveur de ce projet, ce qui n’a pas été le cas».
Du côté des syndicats, le LCGB s’est fendu d’un communiqué pour affirmer sa déception et parle d’un «échec» et d’un «mauvais signal ainsi envoyé au développement du tissu industriel du Grand-Duché» ou encore d’une «cacophonie politique» dans un projet industriel qui, selon le syndicat, aurait été un vecteur d’attractivité pour d’autres entreprises innovantes.
Jeremy Zabatta
Soulagements à Bettembourg
«Nous sommes un peu surpris de la décision de Fage (NDLR : de ne pas construire une usine sur un terrain de la zone Wolser, à cheval sur la commune de Bettembourg et Dudelange), mais nous ne la déplorons pas trop, avance Laurent Zeimet (CSV). Il y a une forme de soulagement.»
Le bourgmestre de Bettembourg poursuit : «La création d’emplois est un critère pour l’implantation d’une entreprise, mais ce n’est pas le seul. Et dans ce dossier, nous avons émis beaucoup de critiques par rapport à l’environnement, notamment en raison de la consommation d’eau de l’usine Fage.»
Laurent Zeimet «espère qu’on va tirer les bonnes leçons de ce dossier et qu’à l’avenir, on anticipera mieux les choses et que les communes seront consultées au préalable».