Trop d’eau et pas assez de soleil : la récolte de blé tendre va chuter en France en 2024, où les rendements sont attendus « en baisse de 13% » par rapport à l’année dernière, selon les céréaliers, qui appellent à l’aide.
Le rendement national de la céréale du pain « atteindrait 64 quintaux par hectare en 2024, soit -13% par rapport à 2023 et -11% par rapport à la moyenne des 10 ans », selon un communiqué commun de l’interprofession Intercéréales et de l’institut technique Arvalis publié vendredi. Si les représentants de la filière ne donnent pas d’estimation en volume de la moisson – qui débute -, plusieurs maisons de courtage avancent ces derniers jours des estimations officieuses de récolte de 28 à 30 millions de tonnes, après une production de 35 millions de tonnes en 2023.
Selon les dernières estimations publiées en juin par le service statistique du ministère de l’Agriculture, les surfaces cultivées en blé tendre seraient cette année de 4,4 millions d’hectares, soit un potentiel de 28 millions de tonnes si le rendement moyen estimé par la filière est bien atteint.
« Dieu merci, nous ne sommes pas en 2016 », a lancé Jean-François Loiseau, président d’Intercéréales, lors d’un point de presse. Cette année-là, la récolte française de blé tendre avait chuté à 27,6 millions de tonnes. Seule nouvelle rassurante pour Jean-François Loiseau: « Le taux de protéines des grains, à 11,6%, reste très correct, ce qui va nous permettre d’alimenter nos clients sur le territoire et à l’international, notamment sur le pourtour méditerranéen et en Afrique de l’Ouest ».
Trop de pluie, retard de semis, mauvaises herbes invasives, regain de maladies: la campagne 2023-24 a été « extrêmement difficile » pour les agriculteurs, a-t-il souligné.
Angoisse des producteurs
Dans certaines régions, comme les Pays de la Loire, « il y a eu des parcelles où on a vu jusqu’à 80% de blé semé en moins », la pluie ayant trop retardé les semis et poussé les agriculteurs à se tourner vers d’autres cultures, comme des maïs et tournesols (récoltés en fin d’été), a-t-il expliqué.
La quantité d’eau tombée dans les champs a été de « +40 % en moyenne en France par rapport aux 20 dernières années », a relevé Jean-Pierre Cohan, directeur de la recherche et développement de Arvalis. Après un hiver doux, « au printemps, tous les blés ont été attaqués par des pathogènes dont le principal est un champignon, cause de la septoriose, une maladie qui s’attaque aux feuilles » et affecte la croissance des plants, a-t-il expliqué à l’AFP.
« C’est indéniablement une année dont nous aurons du mal à nous relever si rien n’est entrepris pour renforcer notre résilience à tous les niveaux », s’est inquiété Eric Thirouin, président de l’Association des producteurs de blé (AGPB), association spécialisée du premier syndicat agricole FNSEA.
Ces « résultats agronomiques critiques (…) viennent s’ajouter à une situation économique en chute libre sous l’effet d’une explosion des charges conjuguée à un effondrement des cours du blé tout au long de la campagne 2023-2024 », souligne l’AGPB, qui a maintes fois relevé le reflux tardif du coût des engrais et la hausse de celui de l’énergie et de la main d’oeuvre.
Vers une hausse des prix en Europe ?
« Cet effet ciseaux fragilise durablement la trésorerie de nos fermes et donc la durabilité de notre souveraineté alimentaire », alerte Eric Thirouin qui rappelle que les prix des céréales ont diminué de 30% en 2023 (après une forte hausse en 2022), selon les comptes provisoires de l’agriculture publiés mercredi.
La mauvaise moisson de blé attendue en France, premier producteur et exportateur européen, pourrait-elle entraîner une hausse des prix sur les marchés et dans les boulangeries ? Rien n’est moins sûr, car la boussole du blé se situe toujours en mer Noire et notamment en Russie, premier exportateur mondial qui dispose d’abondantes réserves et d’une belle récolte – bien qu’en repli par rapport à l’an dernier, relève Damien Vercambre, du cabinet Inter-Courtage.
Par ailleurs, le courtier rappelle que « dans la fabrication du pain, la farine, ce n’est que 5% du prix ».
Après avoir bondi au-dessus des 400 euros la tonne sur le marché européen en mai 2022 après l’invasion russe de l’Ukraine, les cours du blé sont redescendus ces derniers mois en dessous de leur niveau d’avant-guerre. La tonne de blé meunier s’échangeait vendredi sous les 230 euros sur Euronext, dans un contexte mondial d’abondance.