Palais des congrès rococo, immenses tours sur le modèle des gratte-ciel de Dubai, opéra majestueux : la « nouvelle capitale » de l’Égypte sort des sables à 50 km du centre du Caire, un projet pharaonique voulu par le président Abdel Fattah al-Sissi.
Alternant avec des portraits du raïs, des panneaux le long de la route indiquent la « nouvelle capitale » : des chantiers à perte de vue en plein désert à 25 kilomètres à peine du Fifth Settlement, l’un des derniers nés des faubourgs selects du Caire.
En 2019, Sissi avait inauguré une vaste mosquée – nommée « al-Fattah al-Alim », un des noms de Dieu dans l’islam, mais aussi le prénom du président – et une cathédrale copte, copie conforme de sa jumelle inaugurée il y a plus d’un demi-siècle au Caire.
Le Parlement, des ministères ou des quartiers – chics pour lesquels les promoteurs démarchent depuis des mois les Cairotes par téléphone, ou à loyer modéré dessinés par le ministère du Logement – sortent de terre. Des facultés, des hôpitaux et des écoles sont encore en construction alors que l’inauguration prévue le 30 juin a été repoussée, notamment à cause de l’épidémie de Covid-19. Cette date est symbolique pour le pouvoir car ce jour-là, il y a huit ans, une foule immense donnait « mandat » à l’armée contre le président islamiste d’alors, Mohamed Morsi, renversé peu après par le maréchal Abdel Fattah al-Sissi.
« Une énigme »
L’inauguration dont la nouvelle date reste inconnue actera selon Sissi la « nouvelle République » lancée à sa première élection en 2014. Peu après, il avait annoncé vouloir une nouvelle capitale, en lieu et place du Caire, cité tentaculaire de plus de 20 millions d’habitants à l’immense richesse architecturale, comme en témoigne la mosquée Ibn Touloun, vieille de plus d’un millénaire.
Mais pour Galila el-Kadi, urbaniste de l’Institut de recherche pour le développement basé en France, cette nouvelle capitale ne vient pas concurrencer Le Caire, comme Brasilia a pu le faire avec Rio de Janeiro et Sao Paulo, mais prolonger un peu plus une mégalopole déjà engorgée. La stratégie derrière cette nouvelle capitale est « une énigme », estime cette professeure d’université : « Avant même d’être habitée, elle touche déjà Le Caire. Dans quelques années, elle va s’agrandir et sera complètement absorbée et cela ne fera qu’ajouter aux problèmes de gestion d’une forte concentration de population dans un espace encore plus grand ».
Sissi a déjà été à l’initiative de villes nouvelles, comme à Mansoura (nord) ou Assouan (sud), mais celle qui est appelée pour le moment « la nouvelle capitale administrative » est « le plus grand projet de l’État », indique Khaled al-Husseini, porte-parole de l’entreprise publique chargée de sa construction. Le site de 730 kilomètres carrés (l’équivalent de sept fois Paris) doit être construit en trois étapes, dont « la première couvre 250 km² qui pourront accueillir deux millions d’Égyptiens », détaille Khaled al-Husseini. La ville « offrira une vie meilleure avec des équipements modernes et écologiques et des caméras de surveillance », assure-t-il, évoquant panneaux solaires et énergies renouvelables. Des fonctionnaires viendront y travailler dès décembre et ils seront 100 000 en tout « d’ici trois ans », assure Khaled al-Husseini. Pour eux, « il a fallu créer un réseau routier et prévoir des moyens de transport », dont un train monorail à près de quatre milliards d’euros pour relier la nouvelle capitale au Caire, connue pour ses embouteillages monstres.
« Où sont les priorités ? »
Une débauche de moyens qui en exaspère plus d’un, alors qu’un tiers des 102 millions d’Égyptiens vivent sous le seuil de pauvreté. « C’est une certaine vision de la modernisation » à l’occidentale, déplore le politologue Moustafa Kamal al-Sayyed, qui s’interroge : moderniser l’Égypte ne passerait-il pas plutôt par « garantir une éducation de qualité » dans un pays où l’analphabétisme touche près d’un habitant sur trois. Récemment, note-t-il, le ministère de l’Éducation disait « manquer de 250 000 instituteurs ». « Où sont les priorités ? »
En Égypte, souligne Galila el-Kadi, depuis l’époque pharaonique la construction de nouvelles capitales a eu comme motivation « de séparer le souverain du peuple », rappelle-t-elle.
Pour Moustafa Kamal al-Sayyed, « tous les présidents de l’Égypte moderne ont voulu imprimer leur nom dans l’Histoire comme Gamal Abdel Nasser avec le Haut barrage d’Assouan ». « M. Sissi veut que l’histoire le retienne comme celui qui a déplacé le centre du pouvoir », assure-t-il. « Et ce, pour toujours. »
LQ/AFP
L’Egypte est un pays pauvre. Qui finance de tels projets?