Alors que l’Europe a perdu 4,2 millions d’emplois en raison de la crise sanitaire, le Luxembourg affiche une insolente progression. Explications.
Selon les dernières données du Statec, le marché de l’emploi au Grand-Duché a enregistré une forte reprise au troisième trimestre avec une augmentation de l’emploi salarié de 1,4 % par rapport au trimestre précédent. En se basant sur les chiffres d’Eurostat, entre le troisième trimestre 2019 et le troisième trimestre 2020, le Luxembourg a gagné 9 030 emplois. Un phénomène unique en Europe. En effet, l’Allemagne a perdu sur la même période 654 000 emplois (-1 %) la Belgique, 18 100 et la France, 754 200 emplois. Même tendance pour les pays du Sud. En Europe, c’est un plus de 4,2 millions d’emplois qui ont été perdus, soit une baisse de 2 %.
Pour tenter de comprendre ce phénomène presque surnaturel au regard de ce qui se passe sur le continent, il faut s’intéresser, comme souvent, aux détails des chiffres de l’emploi, mais surtout comprendre le contexte et la structure de l’économie luxembourgeois.
Au Luxembourg, le secteur industriel est beaucoup moins développé que dans un pays comme l’Allemagne. La crise sanitaire a fortement impacté ce secteur-là, qui a perdu chez nos voisins allemands 236 000 emplois, soit une baisse de 3 %, mais surtout près d’un tiers de la perte d’emploi du pays tous secteurs confondus. Au Luxembourg, l’industrie n’a perdu que 1 % des emplois, soit -250. Même constat, ou presque, dans la branche «commerce, transport, hébergement et activités de restauration». En Allemagne, cette branche a perdu 260 000 emplois, soit une chute de 3 % sur un an. En France, c’est 257 000 emplois qui ont été perdus, soit une chute de 4 %. Le Luxembourg affiche dans cette branche une stabilité, puisque selon les données d’Eurostat, entre le 3e trimestre 2019 et le 3e trimestre 2020, cette branche compte le même nombre d’emplois salariés.
Sans nier la réelle difficulté que connaissent les restaurateurs et les professionnels du tourisme au Luxembourg, il faut être conscient que dans certains pays l’économie touristique a plus de poids que dans d’autres. Des pays comme la France, l’Espagne, le Portugal ou la Grèce comptent énormément sur le tourisme en tant que moteur économique. Le Grand-Duché, au contraire, ne peut pas miser sur son secteur touristique pour être la courroie économique du pays. On sait que le secteur financier est le poumon économique du Luxembourg, même si le pays a entrepris depuis quelques années une stratégie de diversification économique pour ne pas être dépendant de ce secteur. Pour autant, avec cette crise sanitaire qui impacte principalement les autres secteurs, avoir un secteur financier fort a contribué, au niveau de l’emploi, à rendre le pays plus résilient.
Une accumulation de facteurs
Autre facteur expliquant la bonne santé de l’emploi dans le pays, c’est sa structuration. Avec seulement 8 % de salariés avec un contrat à durée déterminée (CDD), le pays dispose d’une structure de l’emploi plus «solide» que d’autres pays comme la France, qui elle compte près de 14 % de salariés en CDD, ou l’Allemagne et ses minij-obs. Concernant les CDD de moins de trois mois, ils ne représentent que 1,5 % de l’emploi, contre 5 % en France et 2,2 % en moyenne en Europe.
Enfin, pour expliquer encore cette création d’emplois alors que l’Europe connaît une perte d’emplois de 4 %, il faut regarder quels sont les secteurs dynamiques qui recrutent au Luxembourg. «Il est à signaler que 74 % des 9 000 emplois supplémentaires qui ont été créés au Luxembourg l’ont été dans les secteurs de la construction (+1 800), de l’administration publique (+1 600), de l’éducation (+1 200) et de la santé et action sociale (+2 100) qui pèsent 32 % de l’emploi total», soulignent les économistes de la Fondation IDEA Muriel Bouchet et Michel-Édouard Ruben, dans un récent blog.
Au final, l’explication de la bonne santé de l’emploi au Luxembourg réside dans une accumulation de facteurs: prédominance des CDI, secteur de la construction très dynamique, fort besoin de main-d’œuvre et de matière grise de l’État, secteur financier peu impacté par la crise sanitaire. À cela, on peut ajouter la bonne santé économique du pays, qui a laissé une certaine marge de manœuvre au gouvernement pour mettre en place des plans de soutien à l’économie.
Pour autant, nuancent les économistes de la Fondation IDEA, «la progression de l’emploi (certes tirée principalement par les secteurs non marchands) ne suffit pas à faire oublier les nombreuses difficultés encore en présence comme la circulation du virus, le questionnement sur l’efficacité des vaccins, le devenir de l’organisation du travail, la hausse des prix immobiliers alimentés par l’épargne forcée due à la crise, la zombification/mise en hibernation de certaines entreprises, le questionnement de certains sur la soutenabilité de la dette publique luxembourgeoise, etc.»
Mais après une année 2020 gâchée par le Covid-19, garder un certain optimisme en voyant le verre à moitié plein ne fait sans doute pas de mal.
Jeremy Zabatta