Lâché par son fournisseur, Eida a lui-même dû cesser la fourniture d’électricité à ses clients le 14 décembre. Son administrateur délégué nous explique la situation périlleuse de son entreprise.
Deux mois, deux petits mois pour savoir si la belle aventure d’Eida, le fournisseur d’électricité verte (essentiellement de l’éolien) basé à Beckerich, pourra continuer ou devra s’arrêter après plus de 15 ans d’activité. C’est le délai que souffle au téléphone Paul Kauten, dont la voix trahit les moments difficiles vécus par la société actuellement.
C’est que l’administrateur délégué d’Eida n’a pas vu venir le coup. Son partenaire néerlandais, Anode, qui plonge à la suite du fournisseur de ce dernier. Et l’impossible mission de trouver un autre fournisseur pour continuer le service au client. Paul Kauten : «Nous vivons une situation très difficile. La semaine passée, le lundi, on a été averti sans préavis que notre fournisseur depuis 15 ans devait arrêter de nous livrer en électricité à cause d’une faillite.»
Tous les efforts pour trouver un autre fournisseur ont été vains et, de toute façon, la société, qui n’était pourtant pas jusqu’ici en difficulté financière, ne disposait pas des liquidités à même de financer une transition qui aurait pris plusieurs semaines. Décision a donc été prise, sagement, de cesser l’activité de fourniture d’électricité à la date du 14 décembre afin de faire face à une procédure plus facile à gérer dans l’intérêt des clients.
Car c’est ce qui importe le plus à l’administrateur délégué : réduire le plus possible les inconvénients posés aux clients – environ 2 350 points de fourniture basse tension – et se montrer disponible «aussi longtemps qu’on peut» pour les accompagner dans cette phase de transition.
Optimisme démenti
Tous les clients, se rassure-t-il, sont de toute façon couverts par la procédure du fournisseur en dernier recours, Enovos, et pour la plupart des particuliers, l’augmentation qu’ils devront subir pour l’électricité n’est pas un poste considérable dans leur budget. D’ailleurs, des clients de la première heure, venus soutenir un projet engagé dans la transition énergétique, sont plus dépités qu’irrités par la tournure des évènements. La société reçoit même des messages de soutien.
Ce n’est pas la même musique, et Paul Kauten ne peut que les comprendre, que font entendre les gros clients qu’Eida servait sur 400 points de fourniture moyenne tension. Ils ne manquent pas d’afficher leur mécontentement de devoir conclure dans l’urgence un nouveau contrat – une affaire de long terme et pour de gros volumes d’électricité – auprès d’un nouveau fournisseur en ces temps de niveau des prix stratosphérique. Ce qui constituera une lourde charge pour leur budget.
L’administrateur délégué regrette amèrement la situation et se défend en soulignant : «Ils sont autant pris par les évènements que nous-mêmes nous l’avons été.»
Mais, tout de même, cette énorme tuile qui lui est tombée sur la tête, Eida n’avait-il pas les moyens de la prévoir, voire de s’en prémunir, eu égard aux nombreux sinistrés parmi les fournisseurs d’électricité que la hausse effrénée des prix a déjà faits hors de nos frontières, en Allemagne, en France, au Royaume-Uni, par exemple? Eh bien, Paul Kauten répond que la société, qui compte sept salariés, se voulait optimiste, ayant déjà su traverser des situations de hausse : 2008, au temps de la crise financière, 2018 aussi. Alors, les mesures de salut ou de précaution avaient suffi pour encaisser des chocs temporaires.
«La crise s’aggrave de jour en jour»
2021 est d’une autre envergure, nous dit l’administrateur délégué : «La crise perdure et s’aggrave de jour en jour. Les mécanismes mis en place pour faire face à des mouvements de marché limités dans le temps ne peuvent plus fonctionner aujourd’hui, car ils demanderaient des moyens financiers trop importants.»
Est-ce à dire qu’Eida pourrait être rejoint par d’autres victimes au Luxembourg de la flambée des prix? Paul Kauten préfère ne pas s’avancer sur ce terrain-là, étant seulement d’avis que les autres fournisseurs luxembourgeois, dotés sans doute de moyens financiers plus importants que le petit Eida, sont peut-être mieux armés pour résister.
Voilà, la seule petite activité qu’il reste à Eida est la fourniture de gaz, qui n’était là que pour offrir une offre complète pour les bâtiments et qui ne correspond pas à la philosophie d’un fournisseur engagé dans les énergies renouvelables. Et quand on sait qu’à terme, la société avait pour projet de s’en désengager…
Paul Kauten le répète : il se donne deux mois, le temps de recevoir les dernières factures de Creos, le gestionnaire de réseau, et d’encaisser celles des clients, «pour y voir clair et prendre les dispositions qui s’imposent».
Manuel Santos
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