Une cryptomonnaie inspirée de la série Squid Game avec des millions de dollars d’investissements évaporés, des cryptoactifs à thèmes canins qui prolifèrent : les arnaques et flambées spéculatives se multiplient dans le secteur.
L’ensemble du marché des cryptomonnaies ne cesse d’enfler et représente plus de 3 000 milliards de dollars. Mais alors que le bitcoin, qui a atteint mardi un nouveau record historique à plus de 68 000 dollars, intéresse de plus en plus de professionnels de la finance, les projets de cryptomonnaies plus ou moins sérieux pullulent.
« N’importe quelle équipe de développeurs peut créer une application et émettre un cryptoactif », prévient Martha Reyes, qui dirige la recherche de la plateforme d’échanges de cryptomonnaies Bequant. Le patron du gendarme des marchés américains, Gary Gensler, avait d’ailleurs qualifié cet été de « Far West » ce secteur en croissance exponentielle.
Le « Squid coin » illustre les dangers pour les investisseurs peu avisés : cette cryptomonnaie, créée sur le thème de la série à succès de Netflix par des anonymes sans aucune connexion avec le géant du visionnage en ligne, a connu un succès vertigineux en quelques jours fin octobre. Selon certaines évaluations, la valeur du marché de cette cryptomonnaie dépasse alors 30 millions de dollars. Mais les acheteurs découvrent qu’ils ne peuvent pas la vendre et encaisser leurs profits, et début novembre, les créateurs disparaissent des réseaux sociaux alors que le prix s’écroule. Même si les échanges semblent avoir repris, les sommes investies ont été siphonnées, et les investisseurs cherchent en vain des explications.
Défi de la DeFi
« C’est un type d’arnaque très visible que l’on surnomme rug pull (tirer le tapis) », explique Eswar Prasad, économiste à l’Université américaine de Cornell, qui y voit « l’un des nombreux moyens par lesquels les investisseurs particuliers naïfs sont appâtés par la promesse de gains élevés, ce qui les laisse vulnérables ».
La performance vertigineuse du marché des cryptomonnaies, dont la valeur a septuplé en un an, attire en effet des acheteurs non avertis. Même s’ils sont particulièrement présents, comme leurs victimes, en Europe de l’Est, « ces arnaqueurs opèrent à une échelle mondiale », rappelle Kim Grauer, en charge de la recherche pour le cabinet Chainalysis. « La croissance rapide de la finance décentralisée (ou DeFi) et l’ambition des investisseurs a créé l’environnement parfait pour les rug pull », ajoute-t-elle.
Pour acheter des Squidcoin, les investisseurs devaient en effet se connecter sur une plateforme décentralisée. Contrairement aux plateformes centralisées comme Coinbase, qui est enregistrée auprès des régulateurs, la DeFi regroupe des projets qui veulent se passer d’un tiers qui valide les transactions, et l’anonymat y est souvent possible.
En France, Romain Chily, avocat au cabinet ORWL, spécialisé dans les cryptomonnaies, dit voir passer « chaque mois » de nouvelles affaires d’arnaques aux cryptomonnaies. Selon lui, la DeFi recèle « plein de produits qui marchent assez bien, mais pour des investisseurs avisés », et il conseille de « ne pas commencer par là » car, en cas de problème, « les chances de recouvrer vos fonds sont extrêmement minces ». Il recommande de se tourner vers les vendeurs accrédités par l’Autorité des marchés financiers (AMF) et de vérifier que la plateforme n’est pas sur la liste noire du gendarme financier.
Plaisanteries coûteuses
Même sur les plateformes régulées, le sérieux de certains projets laisse sceptique. Depuis le début de l’année, deux cryptomonnaies à thème canin, le dogecoin et le Shiba Inu, voient leur valeur bondir : le premier avait été créé comme une plaisanterie en 2013, et le second à l’été 2020. Ces cryptomonnaies, créées à partir de phénomènes internet, sont surnommées « memecoins », et sont particulièrement volatiles.
Mais les professionnels font une différence avec les escroqueries : « c’est un exercice de marque. Cela me rappelle plutôt la flambée des actions GameStop et AMC au début de l’année, qui n’avaient aucun lien avec la valeur intrinsèque de ces compagnies », commente Martha Reyes. Même constat pour Joshua Barraclough, qui dirige la version « pro » de la plateforme d’échanges de cryptomonnaies BitPanda, basée en Autriche, qui conseille de prendre le temps de se renseigner et de se poser quelques questions avant d’investir : « Est-ce que vous comprenez ce que le projet fait ? Est-ce que ça a l’air louche ? Si ça en a l’air, c’est que ça l’est probablement ».
LQ/AFP