Le projet de drone européen Eurodrone est à la peine : les négociations « rugueuses » entre États et industriels achoppent sur les performances attendues et le coût du programme, posant la question du « prix de la souveraineté » à payer face à la concurrence du Reaper américain.
Les précédents programmes européens visant à faire émerger une filière de drone MALE (Medium altitude, long endurance) se sont soldés par des échecs. Et les « signaux d’incertitude » se multiplient sur cette nouvelle tentative rassemblant l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne, pointe la Cour des comptes française dans son rapport annuel mardi. Car l’Eurodrone ne se fera pas à n’importe quel prix, met en garde depuis plusieurs mois la ministre française des Armées Florence Parly.
« Des négociations rugueuses sont en cours avec l’industrie », résumait le délégué général à l’Armement français Joël Barre, devant les sénateurs en octobre. Depuis, le contrat de développement, attendu pour la fin 2019, n’est toujours pas signé. « On veut un prix juste, raisonnable. A ce stade on ne l’a pas encore complètement », confie-t-on au ministère français des Armées. « Il ne faut pas que les industriels pensent que ce projet, aussi emblématique de la coopération européenne soit-il, est too big to fail (trop important pour échouer) ».
Selon des sources proches du dossier, Paris envisage un budget plafond de sept milliards d’euros pour ce projet. Airbus est le chef de file industriel avec pour partenaires le français Dassault et l’italien Leonardo. Lancé en 2015, l’Eurodrone est censé être opérationnel à partir de 2028. Il fournira une capacité de surveillance, voire de frappe aérienne, pendant une vingtaine d’heures, tout en étant capable de s’insérer dans le trafic aérien civil, une gageure pour des appareils automatisés et pilotés à distance.
Florence Parly doit faire le point sur le projet avec ses équipes le 2 mars. « Ensuite la France arrêtera une position qu’elle concertera avec les Espagnols, les Italiens et les Allemands », selon son ministère. L’objectif est selon cette source « d’avoir un appareil dont les performances opérationnelles soient au moins supérieures ou égales à ce qu’on peut trouver sur le marché américain aujourd’hui ».
« Quand il y a des demandes exorbitantes, le prix l’est »
Le temps presse alors que les Américains proposent depuis plusieurs années un drone, le Reaper, dont la France a déjà acquis 12 exemplaires, l’Italie six et l’Espagne quatre. Or les spécifications différentes exigées pour l’Eurodrone par les différents partenaires n’aident pas. L’Allemagne a obtenu qu’il soit bimoteur quand la France n’en souhaitait qu’un. « Avec deux moteurs et un poids de dix tonnes, ce drone sera trop lourd, trop cher et donc difficile à exporter. Nous avons besoin de ce drone au Mali (…), les Allemands, eux, souhaitent faire de la surveillance urbaine au-dessus de leur territoire », dénonçait il y a quelques mois Christian Cambon, le président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat. « Les États ne sont pas sérieux dans leurs demandes. Quand il y a des demandes exorbitantes, le prix l’est », déplore-t-on chez un des industriels, qui enjoint aux États d’être « plus précis » dans les spécifications exigées pour éviter un développement chaotique semblable à celui de l’avion de transport A400M.
Pour General Atomics, le fabricant du Reaper, c’est une belle « fenêtre d’opportunité « : l’industriel américain a proposé en octobre à Paris l' »achat sur étagère » d’un Reaper modernisé ou l’acquisition d’une autre version, baptisée Euro Guardian, affirme son directeur pour l’Europe, Christophe Fontaine. Disponible dès 2023 pour « la moitié du coût de l’Eurodrone » selon lui, l’Euro Guardian n’aurait d’américains que la plateforme et le cockpit. Tous les capteurs, systèmes de cryptologie et de liaisons pourraient être « francisés », explique-t-il. Le patron d’Airbus Defense and Space, Dirk Hoke, se veut « très optimiste » sur l’avenir de l’Eurodrone. « On va avoir des discussions mais je crois qu’on va y arriver », a-t-il confié mi-février.
« La grande question qui se pose, c’est le prix de la souveraineté », résume Cédric Perrin, sénateur de la commission de la Défense. « Est-ce qu’on est capable de mettre le double du prix ou veut-on continuer d’acheter américain avec les limites de souveraineté que cela comprend », argue-t-il, tout en estimant que « pour des raisons politiques, on n’aura pas d’autre choix » que de poursuivre l’Eurodrone.
LQ/AFP