Huit livreurs à vélo ont entamé ce dimanche 5 novembre un périple de Paris à Bruxelles, où se discute une directive européenne relative aux droits des travailleurs de plateformes.
Ils sont originaires de pays différents – Angleterre, France, Italie, Espagne, Autriche ou Belgique –, mais tous ces coursiers pour Deliveroo ou UberEats vivent «exactement la même chose» : «l’ubérisation n’a pas de frontières», tranche Jérémy Wick, livreur français de 34 ans qui participe à «La Grande Livraison».
Avec sept autres coursiers qui s’estiment «ubérisés», il pédalera jusqu’à Bruxelles, où vient de débuter «la dernière phase de négociation» d’une directive européenne sur les droits des travailleurs de plateformes, explique la députée européenne Leila Chaibi (groupe de la gauche). «On fait tous un travail très pénible, sous-payé, on est exploités», résume Jérémy Wick.
Ces livreurs rencontreront des personnalités politiques sur leur trajet, tel le député français François Ruffin (LFI) à Amiens, manifesteront devant le Conseil et le Parlement européens et rencontreront aussi des négociateurs de ces deux instances. Ces dernières, sous l’arbitrage de la Commission européenne, négocient actuellement le contenu d’un texte qui prévoit de requalifier comme salariés de nombreux travailleurs de plateformes aujourd’hui considérés comme indépendants.
Ce projet de législation entend fixer des règles identiques à l’échelle de l’UE alors que les réglementations sur les plateformes sont aujourd’hui très disparates parmi les Vingt-Sept. «Partout dans l’Union européenne, un certain nombre de travailleurs de plateformes sont considérés à tort comme des travailleurs indépendants alors que la plateforme leur impose une subordination», pointe Leila Chaibi, qui indique que «l’objectif, c’est que le texte soit bouclé pour décembre».
La requalification des travailleurs indépendants en salariés pourrait concerner 5,5 millions des 28 millions de travailleurs de plateformes en Europe (chauffeurs de taxi, travailleurs domestiques, livreurs de repas, etc.) selon la Commission européenne.
«Que ce soit en Autriche, en Belgique ou en France, force est de constater qu’on est des salariés, mais qu’on nous force à être indépendants», souffle Camille Peteers, livreur de 35 ans travaillant avec UberEats à Bruxelles et participant à «La Grande Livraison».
Jérémy Wick détaille : «On ne peut pas définir nos tarifs, des décisions unilatérales sont prises, on n’édite pas nos factures, (les plateformes) ont un pouvoir de sanction». Le coursier a d’ailleurs intenté une action en justice contre Deliveroo pour une requalification de son contrat de travail. «Nous, ce qu’on ne veut pas, c’est un statu quo par rapport à la situation actuelle où, pour être requalifiés, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui doivent faire la démarche, longue et coûteuse, devant le juge», défend Leila Chaibi.
Les livreurs interrogés sont également revenus sur les changements opérés dans le secteur de la livraison ces dernières années. «La tarification baisse d’année en année», témoigne Jérémy Wick. «Le prix des courses est tellement bas que si demain, il n’y a plus de livreurs sans papiers prêts à accepter ça, Uber et Deliveroo fermeront», juge-t-il.
«On va pédaler pour nos collègues morts»
En 2017, âge d’or où la livraison à vélo était «un job d’étudiant bien payé», «les gens ne se demandaient pas s’ils étaient indépendants ou salariés», raconte-t-il. Mais désormais, alors que la rémunération baisse, «il faut enchaîner les commandes le plus vite possible, aller toujours plus vite, c’est une mise en danger très concrète des travailleurs», dénonce Camille Peteers.
Le livreur explique que «dans la loi belge, il y a une présomption du salariat dans le domaine des transports» pour éviter que la pression ne mène à des comportements dangereux sur la route. «On va pédaler 400 kilomètres en trois jours sous la pluie pour toutes ces choses-là, pour l’accidentologie, pour nos collègues morts», explique Jérémy Wick.
Les livreurs rendront hommage mercredi à Sultan Zadran, un coursier décédé en février dernier alors qu’il effectuait une livraison dans Bruxelles.
Une proposition de loi dans le tiroir
Au Luxembourg, des plateformes de livraison comme WeDely ou Goosty se sont établies depuis la crise sanitaire avec un modèle calqué sur UberEats, avec certains abus : selon l’OGBL, elles minent le droit du travail et le modèle social luxembourgeois.
Si, au niveau européen, le ministre du Travail, Georges Engel (LSAP), défend une directive ambitieuse, avec la volonté d’améliorer les conditions de travail tout en garantissant la durabilité économique de ces entreprises, au niveau national, il n’a pas donné suite à la proposition de loi de déi Lénk sur le sujet déposée dès 2022.