Diffusion de « deepfakes », vente de faux médicaments, exploitation de données personnelles sensibles pour le ciblage publicitaire… Bruxelles a poursuivi jeudi un vaste tour de vis contre les grandes plateformes en ligne, visant notamment les chinois TikTok et AliExpress.
Ce durcissement intervient sur fond de tension entre Washington et Pékin qui a dénoncé jeudi des « méthodes de voyou », après un vote au Congrès américain renforçant la menace d’interdiction aux États-Unis de TikTok. Des applications étrangères dont des américaines comme Facebook ou X sont inaccessibles en Chine sans outils permettant de contourner la censure.
La Commission européenne a annoncé l’ouverture d’une « enquête formelle » contre le site de commerce en ligne AliExpress, filiale du géant chinois Alibaba. Il est soupçonné de ne pas avoir respecté ses obligations en matière de lutte contre la vente de produits dangereux – comme des faux médicaments.
Il s’agit de la troisième enquête ouverte dans le cadre du nouveau règlement sur les services numériques (DSA) destiné à mieux protéger les consommateurs contre les pratiques illégales des géants de l’internet.
« Le DSA tourne à plein régime et nos équipes en charge de le faire respecter à travers l’Europe sont pleinement mobilisées », s’est félicité le commissaire européen au Numérique, Thierry Breton.
La Commission européenne a également réclamé jeudi des explications à huit grands services en ligne, dont TikTok, Facebook, Google, YouTube et X, sur la façon dont ils gèrent les risques liés à la diffusion de contenus manipulés (« deepfakes »).
Inquiétude pour les élections
À trois mois des élections européennes, Bruxelles s’inquiète notamment de l’impact sur la campagne électorale de ces sons, photos et vidéos truqués grâce à l’intelligence artificielle générative.
La Russie est en particulier régulièrement accusée de tentatives de manipulation de l’opinion dans les pays occidentaux via la promotion d’informations truquées sur les réseaux sociaux.
La mise en garde concerne aussi Instagram, Snapchat et le moteur de recherche Bing.
« Nous voulons alerter et équiper les plateformes pour qu’elles soient préparées au mieux à toutes sortes d’incidents qui pourraient survenir lors des prochaines élections, en particulier, bien sûr, l’élection du Parlement européen », a expliqué à des journalistes un fonctionnaire européen.
La Commission a par ailleurs réclamé jeudi des explications au réseau social professionnel LinkedIn, du groupe américain Microsoft. Il est soupçonné d’exploiter certaines données personnelles sensibles de ses utilisateurs (orientation sexuelle, opinions politiques…) à des fins de ciblage publicitaire, ce qui est formellement interdit par le DSA.
Le nouveau règlement impose aussi de nouvelles obligations de transparence concernant les paramètres utilisés pour le ciblage publicitaire.
Cette demande d’informations ainsi que celle concernant les « deepfakes » ne sont pas une mise en cause à ce stade. Elles constituent la première étape d’une procédure pouvant conduire à l’ouverture d’une enquête formelle, puis à de lourdes amendes en cas d’infractions avérées.
Menace de lourdes amendes
Le règlement sur les services numériques s’applique depuis fin août aux plateformes en ligne les plus puissantes comme X, TikTok ainsi que les principaux services de Meta (Facebook, Instagram), Apple, Google, Microsoft ou Amazon.
Au total, 22 très grands acteurs de l’internet, dont trois sites pornographiques (Pornhub, Stripchat et XVideos), ont été placés sous la surveillance directe de la Commission européenne, qui a recruté plus d’une centaine d’experts à Bruxelles pour assumer son nouveau rôle de gendarme du numérique.
Les contrevenants s’exposent à des amendes pouvant atteindre jusqu’à 6% de leur chiffre annuel mondial, voire à une interdiction d’opérer en Europe en cas de violations graves et répétées.
La nouvelle législation « ne concerne pas seulement les discours haineux ou la désinformation (…). Elle vise également à garantir le retrait des produits illégaux ou dangereux vendus dans l’UE par des plateformes de commerce électronique », a souligné Thierry Breton au sujet de la procédure contre AliExpress.
La Commission avait déjà ouvert deux premières enquêtes formelles qui ciblaient respectivement X (anciennement Twitter) soupçonné de ne pas suffisamment lutter contre la désinformation, et TikTok, propriété du chinois ByteDance, pour des manquements présumés à ses obligations de protection des mineurs.
Dans le cadre des trois enquêtes contre X, TikTok et AliExpress, l’exécutif européen s’efforce de recueillir des preuves, par exemple en envoyant des demandes d’informations supplémentaires, en menant des entretiens ou des inspections. Aucune limite de durée n’est fixée pour ce type d’enquêtes.