« On ne vit pas, on survit », soupire une employée d’un service hospitalier qui, comme près d’un quart des actifs au Portugal, vit avec le salaire minimum, un des grands thèmes de la campagne électorale pour les législatives de dimanche.
« On a appris à vivre avec l’indispensable ! C’est frustrant et triste », confie Fernanda Moreira, 40 ans, qui travaille dans un hôpital de la banlieue sud de Lisbonne. Cette mère de famille au regard vif cerclé de lunettes rondes, dont le mari gagne à peine plus qu’elle, est payée au SMIC depuis le début de sa vie professionnelle, il y a plus de 20 ans. Son salaire n’a progressé qu’en fonction des coups de pouce donnés au salaire minimum par le gouvernement.
Comme elle, ils sont près de 900 000 salariés au Portugal à vivre avec un SMIC qui est passé cette année à 822 euros sur 12 mois, contre 589 euros quand les socialistes sont arrivés au pouvoir en 2015, en s’alliant avec la gauche radicale pour écarter la droite et mettre fin à sa politique de rigueur budgétaire.
« Les défenseurs de l’austérité affirmaient que le gel des salaires était la seule voie possible pour devenir un pays compétitif, ce n’est pas notre recette », a fait valoir la ministre du Travail, Ana Mendes Godinho, dans un entretien à l’AFPTV.
Rejet du budget
« On n’avait jamais vu une hausse du salaire minimum aussi importante », témoigne Amélia Casquinha Fernandes, femme de ménage de 60 ans à l’aéroport de Lisbonne, elle aussi payée au SMIC, en se réjouissant du fait que les socialistes « ont tenu leur promesse ». S’il remporte les élections de dimanche, le Premier ministre Antonio Costa s’est engagé à continuer de l’augmenter chaque année, afin d’atteindre le seuil des 1 000 euros sur 12 mois en 2026.
Mais la gauche radicale, qui soutenait le gouvernement minoritaire d’Antonio Costa, lui réclamait davantage d’efforts en faveur du pouvoir d’achat, alors que le SMIC portugais est l’un des plus bas de l’Union européenne. Jugeant insuffisante une nouvelle hausse de 47 euros cette année, le Parti communiste a voté aux côtés du Bloc de gauche, mais aussi de toute l’opposition de droite, pour le rejet du projet de budget pour 2022, précipitant la convocation d’élections anticipées.
Le nombre de travailleurs au SMIC a doublé en dix ans et « le Portugal est en train de se transformer en un pays de salaires minimum », s’inquiète Eugénio Rosa, économiste proche du Parti communiste qui a récemment publié une étude sur le sujet.
Autre préoccupation des experts, l’écart entre le SMIC et le salaire moyen, qui est de 1 160 euros sur 12 mois, ne cesse de se réduire.
Baisse du chômage
« Les entreprises ont augmenté les salaires minimum, car elles y ont été contraintes par la loi, mais elles ont laissé de côté les autres salaires », explique Joao Duque, professeur de l’Institut supérieur d’économie à Lisbonne.
Si elle a contribué à ramener le taux de chômage à environ 6%, son niveau d’avant la pandémie, cette stratégie a contribué au développement d’une « économie de bas salaires » autour d’activités comme l’hôtellerie, le tourisme ou la construction. Toujours d’après Joao Duque, cela a « favorisé l’émigration des plus qualifiés, vers des pays où ils seront mieux payés et l’immigration d’une main-d’œuvre moins qualifiée ».
Le sujet du salaire minimum a également provoqué de vifs échanges entre le Premier ministre et son principal rival de centre-droit, Rui Rio, un économiste selon lequel le SMIC devrait augmenter en fonction de la productivité, qui au Portugal est une des plus faibles d’Europe.
La question des bas salaires est également à l’ordre du jour de l’Union européenne, dont les pays membres ont adopté début décembre une position commune prônant davantage de transparence dans la fixation des salaires minimum, pour qu’elle soit liée aux niveaux de richesse et de productivité, sans pour autant fixer un seuil minimum européen.