Le gouvernement allemand rejette fermement l’idée d’un embargo immédiat sur le gaz et le pétrole russes, mais ne fait pas l’unanimité dans le pays où cette solution radicale est présentée, par certains, comme moralement nécessaire et économiquement gérable.
« Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir les Ukrainiens dans leur combat contre Poutine et pour la liberté. Nous devons arrêter les affaires gazières et pétrolières de la Russie maintenant » : le député conservateur Norbert Röttgen est une des nombreuses personnalités qui ne se satisfont pas du refus de Berlin d’arrêter les importations d’hydrocarbures russes.
« Près d’un milliard d’euros sont versés chaque jour dans les coffres de guerre de Poutine, contrecarrant nos sanctions contre la banque centrale russe » et « pour de nombreux Ukrainiens, il sera trop tard si nous hésitons maintenant », a plaidé cette semaine, dans une tribune, cette figure du parti chrétien-démocrate CDU.
Dans le même camp politique, Christoph Heusgen, ancien conseiller diplomatique d’Angela Merkel, ne dit pas autre chose : « Nous avons assez de gaz pour finir l’hiver, pour l’été (…) les gens en Allemagne ont montré une telle solidarité avec les Ukrainiens qu’ils soutiendraient (un embargo) même s’il fait un peu plus froid dans leur salon. »
« Riche » Allemagne
Le sujet commence à mobiliser au sein de la majorité : « On ne fait pas d’affaires avec un régime criminel » et « le principe du business as usual ne peut s’appliquer lorsqu’il s’agit d’acheter du pétrole ou du gaz russe », s’est indignée mardi la présidente des jeunes du parti libéral FDP, allié de coalition des sociaux-démocrates d’Olaf Scholz et des écologistes.
« La riche République fédérale en particulier peut et doit se permettre » un tel embargo, plaide également un éditorial de la Süddeutsche Zeitung.
Jusqu’ici, le gouvernement d’Olaf Scholz est resté sourd à ces appels, expliquant inlassablement que le but des sanctions n’étaient pas de déstabiliser les pays qui les imposaient. Il faudra, expliquent ses ministres, une période de transition avant de pouvoir remplacer les hydrocarbures russes alors que l’Allemagne importe de Russie plus de la moitié de son gaz et de son charbon et environ un tiers de son pétrole.
« Si nous nous retrouvons dans une situation où les infirmières et les enseignants ne viennent plus travailler, où nous n’avons pas d’électricité pendant plusieurs jours (…) Poutine aura gagné une partie de la bataille, car il aura plongé d’autres pays dans le chaos », a mis en garde mardi la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock.
Mais loin de ce scénario apocalyptique, plusieurs experts ne jugent pas déraisonnables, pour l’Allemagne, les conséquences d’un embargo sur les hydrocarbures russes.
Recul du PIB
Le cas le plus délicat est celui du gaz, car les importations de pétrole et de charbon en provenance de Russie peuvent être remplacées par d’autres pays fournisseurs, expliquent neuf économistes de renom dans une étude publiée cette semaine. Faute de pouvoir compenser entièrement le gaz russe par d’autres fournisseurs, ménages et entreprises « devraient accepter une baisse de l’approvisionnement de 30% », soit environ 8% de la consommation énergétique totale de l’Allemagne, selon leur étude.
D’après le modèle macroéconomique utilisé, le produit intérieur brut de l’Allemagne pourrait reculer de 0,2% à 3% et les sanctions coûter à chaque Allemand entre 80 et 1 000 euros par an, en fonction de la manière dont le gaz naturel russe peut être remplacé.
L’Académie nationale des sciences Leopoldina arrive à des conclusions similaires : un arrêt à court terme de l’approvisionnement en gaz russe serait douloureux mais gérable pour l’économie allemande, « même si des goulots d’étranglement énergétiques pourraient survenir au cours de l’hiver à venir ». Pour amortir l’effet d’une nouvelle flambée des prix et encourager la conversion aux énergies renouvelables, d’importantes mesures de soutien aux ménages seraient nécessaires.
« L’Allemagne peut emprunter de l’argent pour cela », plaide la Süddeutsche Zeitung, estimant qu’une guerre en Europe est une « urgence » méritant de poursuivre la politique du « Quoi qu’il en coûte » inaugurée avec la pandémie de covid-19.
Selon un sondage de l’institut Yougov publié cette semaine, la majorité des Allemands soutiendrait un embargo sur les hydrocarbures russes : 54% des personnes interrogées s’y disant tout à fait ou plutôt favorables.