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Comment le prix du pétrole peut-il être « négatif »?


Les cours du pétrole brut sont complètement déréglés en raison d'une surproduction alliée avec une forte baisse de la consommation. (Photo / AFP)

A première vue, le chiffre défie le bon sens: lundi à New York, le baril de pétrole a clôturé à -37,63 dollars. En clair, les vendeurs en étaient réduits à payer les acheteurs pour écouler leur brut.

Ce phénomène vaut d’être décortiqué. Déjà, cet effondrement historique ne concerne que la variété dite « WTI » (West Texas Intermediate) qui sert de référence sur le marché américain alors que pour l’Europe c’est la variété « Brent » de la mer du Nord qui détermine les prix. Or le Brent, même attaqué, reste lui pour l’instant autour de vingt dollars. « Un écart historique sépare actuellement les deux prix de référence des marchés pétroliers », rappelle John Plassard de la société d’investissement Mirabaud dans une note mardi.

La raison provient essentiellement de l’importante production américaine de pétrole, notamment de schiste, et de la constitution d’énormes réserves dans le terminal de Cushing (Oklahoma) qui débordent face au ralentissement brutal de l’économie américaine en raison de l’épidémie de coronavirus. En clair: les vendeurs de brut non seulement ne trouvent plus d’acheteurs, mais peinent même à stocker le surplus, d’où le dérapage de lundi.

Le mécanisme du prix « négatif »

Par ailleurs, le prix « négatif » exige d’explorer les mécanismes assez techniques du marché pétrolier, le plus souvent inconnus du grand public. Le marché du pétrole est ce que l’on appelle un marché « à terme »: les prix se négocient plusieurs semaines à l’avance en fonction d’échéances de livraison fixes. Ce sont donc moins des barils physiques qui s’échangent que des contrats adossés au pétrole lui-même. Ce mécanisme, conçu au départ comme une assurance contre les mouvements de prix, est devenu matière à spéculation.

En ce début de semaine, les contrats sur le brut devant être livré en mai arrivent à expiration et les spéculateurs se voient lundi bien obligés de prendre possession du pétrole qu’ils ont déjà acheté. Ne pouvant le stocker, ils ont préféré dédommager leur « contrepartie » du contrat en payant pour annuler l’achat, d’où le prix négatif. « Comme le WTI doit être physiquement livré et qu’il coûte cher d’accéder aux réservoirs, le coût du stockage en mai dépasse la valeur intrinsèque du pétrole pour ce même mois », souligne Stephen Innes de Axi Trader. « A moins d’une intervention coordonnée, le contrat de juin pourrait perdre toute valeur également, d’où les cris de « aux abris » qui retentissent sur les marchés mondiaux », souligne-t-il.

Guerre entre producteurs

Derrière ces soubresauts de court terme à l’apparence absurde, ce sont bien des mouvements de fond qui agitent le marché du pétrole. En particulier la guerre entre producteurs. La Russie et l’OPEP – et plus particulièrement l’Arabie Saoudite, chef de file du cartel – se livrent depuis deux mois à une surenchère de production qui tire les prix vers le bas.

« Lors de la réunion de l’OPEP+ (début mars), le ministre russe de l’Énergie, Alexander Novak, a fait voler en éclats l’alliance entre Moscou et Riyad qui présidait depuis trois ans à l’équilibre délicat du marché. En quelques heures, le monde du pétrole est passé d’une situation tendue à une crise majeure », rappelle John Plassard, à laquelle est venue s’ajouter l’impact de la pandémie.

L’Arabie saoudite décidant alors d’ouvrir les vannes de sa production dans un bras de fer avec Moscou, les prix du pétrole sont partis dans une spirale descendante. Un accord sur une réduction de la production intervenu depuis n’est pas parvenu à l’enrayer, la récession économique mondiale entrainant une baisse de la consommation. Avec des avions cloués au sol, des usines au ralenti, des voitures au garage pour cause de propriétaires confinés, la demande est en effet déprimée, certainement pour un moment.

 

LQ / AFP