La Croatie espère que son passage prochain à l’euro lui apportera un semblant de protection dans un monde soumis à une inflation galopante, une grave crise énergétique et l’insécurité géopolitique.
Le 1er janvier prochain, le petit pays des Balkans, l’une des économies les plus faibles de l’Union européenne, dira adieu à sa kuna pour devenir le 20e membre de la zone euro.
L’ancienne république yougoslave devenue indépendante en 1991 a accusé en septembre un taux d’inflation de près de 13 % sur un an contre environ 10 % dans la zone euro. Les autorités ne cessent de marteler auprès des 3,9 millions d’habitants les avantages de passer à l’euro, une décennie après l’entrée de la Croatie dans l’UE.
«L’euro nous apporte de la résilience face aux pressions externes et aux crises», explique Ana Sabic, une responsable de la Banque centrale croate (HNB), faisant valoir que Zagreb aura accès à des conditions d’emprunt plus favorables en cas de coup dur.
Depuis juillet, la Banque centrale européenne s’est lancée dans une politique de resserrement monétaire pour calmer une inflation record causée par la flambée des cours de l’énergie et de l’alimentation, dans un Vieux Continent frappé de plein fouet par les conséquences de la guerre livrée par la Russie en Ukraine.
Les analystes font valoir que les pays de l’Est membres de l’UE, mais hors de la zone euro comme la Pologne ou la Hongrie sont encore plus vulnérables à la spirale inflationniste. «C’est en fait le moment idéal pour passer à l’euro», dit Goran Saravanja, économiste en chef à la Chambre de commerce croate. «Quand l’économie mondiale est dominée par des incertitudes majeures, il est toujours mieux pour les petites économies ouvertes comme celle de la Croatie de faire partie d’un ensemble plus large tel que la zone euro».
Le gouvernement croate met en avant l’élimination du risque de change alors que les principaux partenaires commerciaux du pays sont dans la zone euro. La Croatie est déjà fortement dépendante à la monnaie unique. Environ 80 % des dépôts bancaires sont libellés en euros tandis que le tourisme, qui pèse 20 % du PIB, est alimenté par une nombreuse clientèle européenne.
La fin de la kuna approche
Depuis longtemps, les gens évaluent en euros leurs biens les plus précieux, voitures, appartements, témoignant du peu de confiance dans la kuna, devise adoptée après l’indépendance en hommage à une martre dont la fourrure servait de monnaie d’échange au Moyen Âge. Avant l’euro, le mark allemand était la référence. «La vie sera plus facile, on calcule tout en euros de toute façon», dit Roman, un économiste de Zagreb qui refuse de donner son patronyme.
Milan Batur, pharmacien retraité, rejette les inquiétudes de ceux qui craignent que certains commerçants n’en profitent pour arrondir les prix à la hausse : «Ce sont les autres choses, les guerres, les pénuries qui provoquent l’augmentation des prix. On ne peut pas tout imputer à l’euro».
Cela n’empêche pas certains d’être sceptiques. «Le calendrier n’est peut-être pas idéal, on aurait pu peut-être reporter un peu à cause de la situation mondiale», dit Zdravka Antonic, fleuriste sur un marché de Zagreb. «Les gens s’inquiètent déjà de savoir comment tout ça va finir et l’euro ne fait qu’ajouter à l’incertitude.»
Depuis début septembre, le prix de ses bouquets comme ceux de toutes les marchandises et services arborent une double étiquette, avec un taux de conversion fixé par Bruxelles à 7,5345 kunas pour un euro. Le système restera en vigueur toute l’année 2023. «Un pays qui a sa propre devise est plus indépendant. Mais quand on a accepté l’UE, on a aussi accepté l’euro», constate, résignée, Ana Brkic, vendeuse de légumes.
Un salaire moyen de 1 200 euros
L’année dernière, l’opposition conservatrice et de droite, qui dénonce la perte d’un symbole d’identité nationale et pense que l’euro sert les intérêts de grands pays comme la France ou l’Allemagne, avait tenté en vain d’obtenir un référendum sur la question.
Certains se disent qu’ils vont mesurer plus concrètement leur pauvreté. Selon la dernière enquête d’Eurostat de 2018, le salaire moyen en Croatie était de moins de 1 200 euros contre plus de 2 300 euros dans l’UE. Environ 300 000 retraités croates touchent une pension d’à peine 260 euros. «Il y aura une impression de pauvreté et de misère», se plaint Ana Knezevic, directrice de l’association croate de protection des consommateurs.