Francfort va-t-elle gagner son pari et rivaliser avec la City de Londres ? Depuis l’annonce du Brexit, l’Allemand Hubertus Väth s’est dépensé sans compter pour convaincre les banques londoniennes de migrer vers la métropole des bords du Main.
Le directeur général de « Frankurt Main Finance » (FMF), association de promotion de la ville, se souvient avoir été traité de « fou » quand il exposait ses ambitions.
A l’approche de l’acte final du divorce entre le Royaume-Uni et l’UE, personne ne rit plus : la place financière allemande est, dans l’UE, celle qui attire la plus grande partie des activités bancaires, très convoitées, de Londres, devançant Paris, Milan ou Amsterdam.
Côté capitaux, les montants annoncés sont colossaux : selon les estimations de la Bundesbank, environ 675 milliards d’euros devraient quitter les bords de la Tamise au profit de l’Allemagne, première économie européenne. C’est plus de la moitié du montant total des actifs (1.300 milliards d’euros) que la BCE s’attendait, en 2019, à voir transférés de la Grande-Bretagne vers la zone euro.
Les géants de la finance Morgan Stanley, JP Morgan et Goldman Sachs ont annoncé le transfert d’un total de plus de 350 milliards d’euros d’actifs de Londres vers l’Allemagne. Plus de soixante banques internationales se sont enregistrées auprès du régulateur financier allemand Bafin.
Le Brexit, assure M. Väth, est une « opportunité de renverser la tendance » après « trente années à perdre des affaires au profit de Londres ».
Mouvements en vue
Dans cette perspective, les promoteurs de la place de Francfort ont travaillé sans relâche depuis 2016 : « A sept heures du matin, après le référendum, nous avons appuyé sur le bouton et la campagne a démarré », se souvient le directeur de FMF.
Côté emplois, l’exode ne semble pas massif à ce stade. « Frankurt Main Finance » comptait initialement sur le transfert de jusqu’à 10 000 emplois financiers. La banque allemande Helaba a récemment évalué le nombre des arrivées à quelque 3 500 entre 2019 et 2022.
Mais au 1er janvier 2021, les sociétés financières basées au Royaume-Uni vont perdre le précieux « passeport » leur permettant de proposer services et produits dans toute l’UE.
Gestionnaire de risques pour une grande banque japonaise, Martin Campbell estime que cette nouvelle étape devrait accélérer l’hémorragie. Lui-même a quitté Londres en 2019 pour travailler depuis Francfort.
« En vertu des règles de l’UE, il est encore possible d’exécuter depuis Londres des transactions pour le compte d’une filiale européenne. Cela ne sera plus possible à partir du 1er janvier », explique-t-il.
Les banques s’abstiennent également de faire de la publicité autour de leur déménagement car « le discours autour du Brexit est si horriblement toxique qu’il n’y a rien à gagner à rendre les choses publiques », ajoute le financier.
« En privé, toutes ces banques disent à leurs clients ‘nous sommes à Francfort et nous sommes prêts pour vous’ « , assure-t-il.
Carsten Loll, associé du cabinet de conseil Linklaters, estime que si aucun accord commercial n’est conclu pour l’après-Brexit, les entreprises internationales vont se tourner vers la capitale financière allemande pour louer des bureaux.
On pleure deux fois
Pour Francfort, le changement est aussi visible dans l’évolution du type d’activités. Avant le Brexit, la communauté financière locale – environ 65.000 banquiers – occupait surtout le secteur de la banque commerciale.
« L’idée d’une grande banque d’investissement internationale à Francfort n’existait pas », décrit M. Campbell, selon lequel le Brexit a créé dans la métropole allemande « une industrie de la banque d’investissement en partant de zéro ».
Si Francfort n’a pas l’énergie de la vibrante mégalopole londonienne, la ville de 700.000 habitants mise sur d’autres atouts, comme sa taille raisonnable, propice aux déplacements, et la proximité de la nature.
« J’avais plus d’une heure de trajet quand j’habitais à Londres, se souvient Martin Campbell. « Ici, à Francfort, j’habite dans un appartement qui se trouve à 20 minutes de mon bureau en vélo ou en transports publics ».
« Quand on est affecté à Francfort, on pleure deux fois », lance M. Väth : « Une fois en arrivant, et une fois en repartant ».
AFP