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Bio : «Le blocage vient plutôt de la profession»


Produire de bons vins bios chaque année à la limite nord de la viticulture européenne, c’est possible. Guy Krier et ses collègues le prouvent.

La réforme de la politique agricole commune fait débat en ce moment. Mais la politique est-elle la seule responsable de la faible place du bio au Luxembourg? Pas sûr, pour le vigneron bio Guy Krier (domaine Krier-Welbes).

Jeudi, le Mouvement écologique, Greenpeace et natur&ëmwelt ont critiqué ensemble le plan de mise en œuvre de la nouvelle politique agricole commune (PAC) proposé par le ministre de l’Agriculture et de la Viticulture, Romain Schneider. Les défenseurs de la cause environnementale regrettent que l’enveloppe conséquente qui sera allouée à l’agriculture luxembourgeoise (570 millions d’euros) ne soit pas davantage consacrée aux pratiques respectant les écosystèmes et que «le changement de paradigme dont nous avons tant besoin à tous les niveaux n’y (soit) en effet pas du tout abordé, bien au contraire».

Guy Krier (domaine Krier-Welbes, à Ellange-Gare), vice-président de l’Organisation professionnelle des vignerons indépendants, est un des premiers vignerons bios du pays (et toujours l’un des seuls). Il est donc très bien placé pour évoquer la situation de la viticulture bio au Luxembourg, qui se contente de la portion congrue. Il ne désespère toutefois pas et constate même avec bonheur que la nouvelle génération se montre bien plus audacieuse que l’ancienne.

La surface viticole cultivée en bio est toujours aussi marginale au Luxembourg, autour de 4 %. Mais il semble qu’après une décennie de stagnation, la situation évolue…

Guy Krier : Oui, enfin! Et on doit ce dynamisme à la jeune génération. Nicolas et Mathieu Schmit (domaine Schmit-Fohl, à Ahn) viennent d’obtenir leur certification et deux autres domaines sont en cours de conversion : ceux de Jeff Konsbrück (Winery Jeff Konsbrück, à Ahn) et de Corinne Kox (domaine L&R Kox, à Remich). En comptant toutes ces vignes, on dépasse les 4 % du vignoble, mais cela reste encore très loin de ce qu’avançait le programme de coalition du gouvernement, qui promettait 25 % de terres bios au Luxembourg. Sur ce point-là, on ne peut pas dire que ce soit une grande réussite…

À qui peut-on attribuer cet échec? À la politique ou aux producteurs?

Honnêtement, l’État propose des aides financières, soutient les organismes qui nous conseillent (NDLR : l’IBLA, Institut pour l’agriculture biologique et la culture agraire au Luxembourg, et Bio Lëtzebuerg)… Le blocage vient plutôt de la profession. Beaucoup de vignerons en conventionnel ont peur de ne pas pouvoir sauver leur récolte en cas de coup dur. La conversion vers le bio est un sujet de discussion très difficile… le genre de conversation qui n’en finit pas et où, au bout du compte, chacun reste sur ces positions de départ. Lorsque je me rends aux réunions de la Chambre d’agriculture, je constate cette mentalité, ce conservatisme absolu. On essaie systématiquement de rallonger les délais pour avoir le moins de choses à changer.

Au Luxembourg, on entend beaucoup de vignerons dire qu’ils n’ont pas besoin de passer au bio parce qu’ils y sont déjà presque. Comment réagissez-vous à ce type de discours?

Pour moi, c’est un grand problème. J’entends aussi ces discours : « je n’utilise ni engrais ni pesticide, par conséquent je suis en bio ». Beaucoup de vignerons se cachent derrière ce concept de « culture raisonnée ». Encore heureux qu’elle soit raisonnée! À cause de cette mentalité, on n’avance pas vite…. À mon sens, obtenir le label bio est très important, c’est lui qui garantit la qualité du produit aux consommateurs. Et sûrement pas les paroles des producteurs.

Ailleurs dans le monde, la viticulture est souvent une branche vertueuse de l’agriculture, une de celles où la part du bio est la plus importante…

C’est vrai. La viticulture est une monoculture. Pour les céréaliers, qui sont aussi souvent éleveurs, la transition est beaucoup plus compliquée à mener. Je remarque tout de même qu’au marché de Luxembourg, le mardi, je vois beaucoup de maraîchers bios. Presque plus que de conventionnels. Comme quoi, cela peut aussi marcher avec les fruits et les légumes. Quand j’entends que le Luxembourg est trop petit pour que tout le monde fasse du bio, ça m’énerve. Ici, nous avons la chance que la majorité des consommateurs ait le pouvoir d’achat suffisant pour accepter des prix un peu plus élevés. Ce n’est pas forcément le cas chez nos voisins.

Au Grand-Duché, les clients seraient donc moins intéressés qu’ailleurs par les vins bios? Du moins, pas suffisamment pour inciter les vignerons à convertir leurs domaines?

Ce que je peux vous dire, c’est que les vignerons bios n’ont pas trop de mal à vendre leurs vins! Le marché est difficile, comme partout, mais il y a des opportunités. Pour vendre ses vins, il faut communiquer et être convaincant. Les paroles ne suffisent pas, il faut que la production suive. Avec le bio, on a les deux.

Compte tenu des frais de production plus élevés ici, le grand défi pour les vignerons luxembourgeois est de mieux valoriser leurs vins. Or le bio est un outil parfait pour y parvenir…

Complètement. Notre objectif est de rendre nos vins moins facilement remplaçables par d’autres. Moi, je suis certifié depuis 2009. Yves Sunnen (domaine Sunnen-Hoffmann, à Remerschen, le premier vigneron bio luxembourgeois) vient de fêter ses 20 ans en bio : ce n’est donc pas nouveau et on voit que ça fonctionne. Pendant toutes ces années, nous avons montré qu’il était possible d’élaborer de bons vins bios au Luxembourg.

Y compris pendant un millésime météorologiquement compliqué comme le 2021?

Maintenant, oui, parce que nous sommes bien équipés. En 2016, ça avait été une autre paire de manches. À l’époque, je n’avais pas de chenillard pour passer dans des vignes tellement boueuses qu’elles en deviennent impraticables avec le tracteur. À l’époque, j’avais traité ma parcelle pour la Charta (NDLR : Charta Luxembourg, le haut de gamme des vignerons indépendants) à pied, en tirant sur le tuyau. Au bout du compte, on avait réussi, mais ça avait été vraiment dur… En cinq ans, nous avons gagné de l’expérience, mais nous pouvons aussi profiter d’une vraie évolution technologique dans le matériel. Faire du bio demandera toujours plus de travail et d’investissement, mais le facteur risque a beaucoup diminué. Sans compter que plus nos vignes passent les années et plus elles sont résistantes.

Les sceptiques du bio avancent les arguments d’un bilan CO2 contestable à cause des passages plus nombreux en tracteur et de l’utilisation massive du cuivre, un métal lourd, pour traiter les vignes…

Pour le mazout, c’est vrai, puisque, effectivement, nous devons être davantage présents dans les vignes. Ce n’est pas idéal, c’est certain. Mais lorsque l’on prélève de la terre, on voit aussi un sol beaucoup plus structuré par les racines et beaucoup plus riche en composants organiques, en microorganismes et en biodiversité. Si vous prenez une poignée de terre dans la main et que vous la sentez, vous verrez que les odeurs dégagées par une terre bio n’ont rien à voir avec celles d’une terre qui reçoit des produits chimiques.

Et pour le cuivre?

J’ai regardé les plans de traitement des vignes par hélicoptère, qui sont publiés sur le site de la coopérative qui les réalise (NDLR : Protvigne). Eh bien, il y a des localités où l’on atteint les 3,5 kg par hectare, uniquement avec la pulvérisation aérienne. Sans compter les trois ou quatre passages supplémentaires qui ont certainement été réalisés avec le tracteur. Au final, nous avons à peu près le même nombre de traitements sur l’année, une douzaine, sauf que moi, j’ai mis moins de 2,5 kg de cuivre par hectare. Cet argument du cuivre, aujourd’hui, il ne tient plus non plus.

Finalement, à vous entendre, on se dit que si la viticulture bio se développe aussi lentement au Luxembourg, ce n’est pas vraiment la faute de l’État…

Si l’on donnait des objectifs plus contraignants à atteindre – comme on le fait pour promouvoir les voitures électriques par exemple – le rythme des conversions s’accélérerait, c’est évident. Interdire complètement les herbicides (et pas uniquement le glyphosate), imposer un périmètre bio obligatoire autour des habitations… ce serait très efficace, mais le secteur réagirait mal, forcément. Ceci dit, je suis personnellement très attaché à la liberté. Faire du bio sous la contrainte, sans l’avoir choisi, je ne vois pas comment ça peut marcher. Dans des domaines comme les nôtres, au Luxembourg, c’est une question de passion, de choix de vie et vraiment pas d’argent. Ceci dit, je vois l’avenir avec optimisme. Si les vignerons se sont montrés très conservateurs jusqu’à présent, la jeune génération témoigne d’un tout autre état d’esprit. Nous sommes obligés de compter sur eux!

Beaucoup de vignerons se cachent derrière ce concept de « culture raisonnée »

Faire du bio sous la contrainte, je ne vois pas comment ça peut marcher

Quels sont les leaders mondiaux du bio?

L’Organisation internationale du vin (OIV) a publié en septembre un rapport très complet sur le vignoble biologique mondial. On y apprend sans surprise que les trois plus grands pays producteurs de vin sont aussi ceux qui disposent de la plus grande superficie en bio. L’Espagne détient 27 % des vignes bios de la planète, devant la France (25 %) et l’Italie (24 %). Les trois quarts des vignes bios à l’échelle du globe poussent donc à l’intérieur des frontières de ce trio. Mais si l’on prend en compte le poids de la viticulture bio dans le vignoble national, le classement n’est plus le même. L’Italie passe en tête (15 % du vignoble en bio), suivie de près par la France (14 %). L’Espagne, elle, glisse au 4e rang (13 %), dépassée par le vignoble autrichien (14 %) qui ne représente pourtant que 1 % du vignoble bio dans le monde. La présence de la Suisse, 5e avec 9 %, est intéressante. S’il est clair que produire en bio est plus facile sous un climat méditerranéen que continental (l’humidité apportant avec elle nombre de maladies), on note ainsi que deux pays du top 5 mondial ne bordent pas la mer Méditerranée. L’Autriche et la Suisse sont deux producteurs dynamiques qui démontrent que l’on peut élaborer des vins bios même sous des latitudes plus septentrionales. L’Alsace, en France, est un autre exemple de viticulture vertueuse sur des latitudes nord, puisque le bio y représente 32 % de la surface plantée (record français). Preuve est donc faite que l’argument de la géographie ne peut donc être le seul à justifier un rejet du bio de la part des vignerons.

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