Après avoir dessiné la passerelle d’Esch-sur-Alzette ou le bâtiment post-graffiti de Cessange et représenté le Grand-Duché à l’Exposition universelle de Dubai 2020, Shahram Agaajani, associé du cabinet d’architectes Metaform qui fête ses 15ans d’existence, évoque l’architecture luxembourgeoise.
Le grand public connaît le bureau d’architectes Metaform car vous avez imaginé ce que sera le « pavillon luxembourgeois » de la prochaine Exposition universelle de Dubai en 2020. Est-ce un aboutissement ?
Shahram Agaajani : Nous sommes conscients de la chance que nous avons de représenter le Grand-Duché lors de l’Exposition universelle en 2020 à Dubai. Il s’agit d’une étape importante dans la carrière d’un architecte. En plus d’être honoré de pouvoir participer à un tel projet avec une telle visibilité à l’international, c’est aussi une opportunité pour moi de représenter le pays qui m’a adopté depuis 1989. Aujourd’hui, je suis luxembourgeois et fier de l’être, je représente mon pays d’adoption, ce qui est une très grande fierté personnelle et professionnelle.
Toujours du point de vue du grand public, l’architecture d’un bâtiment fait souvent débat. On aime ou l’on n’aime pas. Comment les architectes conçoivent un projet ?
L’architecture peut plaire ou déplaire. Indépendamment du jugement de chacun, elle doit devenir l’objet d’un débat ouvert à un large public, pour enrichir notre culture du bâti. La critique doit faire partie de notre culture, il ne peut en être autrement pour notre environnement bâti. Le métier d’architecte est extrêmement complexe du fait des nombreux facteurs à prendre en compte : économique, urbanistique, programmatique, budgétaire et parfois politique. Il faut en premier lieu comprendre la demande du client, en faire un programme, puis le traduire en architecture tout en respectant les règles urbanistiques et techniques.
Dans notre pratique, il est fréquent de constater qu’un individu s’intéresse à l’ « architecture » qu’au moment de la construction ou de l’acquisition d’une habitation. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un manque d’intérêt, mais d’un manque de connaissance de la géométrie spatiale. Le maître d’ouvrage a un rôle très important à jouer car notre vécu et notre éducation limitent ou alimentent nos attentes spatiales et programmatiques. Par conséquent, nos clients contribuent à élaborer une mauvaise ou une bonne qualité architecturale.
En 2011, vous avez réalisé un immeuble à Cessange très original. Vous avez dû vous heurter à ce décalage ?
Effectivement, en utilisant un noir brillant, du métal déployé et des graffitis, pas mal de personnes ont été scandalisées mais, étrangement, le crépi rose saumon des habitations environnantes ne dérangeait personne. À Cessange, j’ai justement voulu jouer sur ce contraste. Lorsqu’on a commencé avec les graffitis sur la façade, certains voisins ont contacté la police afin qu’elle vérifie nos autorisations. Je pense que c’est le manque d’approche ou le manque d’encadrement des personnes qui amènent ce genre de réaction. D’ailleurs, en le faisant, je voulais le prouver. Cela fait partie de mon approche plus radicale, une démarche plus provocante et militante.
Il y a quelques années, vous aviez déclaré qu’au lieu d’importer des stars internationales de l’architecture au Luxembourg, il faut développer l’architecture locale afin de pouvoir l’exporter…
Oui, j’ai souvent insisté sur ce point. Depuis un certain temps, le Luxembourg a réussi à se mettre en avant, à rattraper un peu son retard, notamment grâce à la crise économique. C’est un peu paradoxal, mais pendant cette période de crise, la plupart des pays ont arrêté des grands projets d’infrastructures alors qu’au Luxembourg, le gouvernement a continué à investir dans de grands projets. Ceci a permis aux architectes luxembourgeois de continuer à évoluer. Et puis, il y a aussi l’ouverture d’esprit du pays. Il ne faut pas oublier ce qu’est le Luxembourg, un pays constitué pour moitié de personnes venant de cultures des quatre coins du monde. C’est un avantage indéniable de pouvoir être capable de gérer ce flux de cultures en sachant cohabiter.
Entretien avec Jeremy Zabatta