La Commission européenne a ouvert jeudi une nouvelle enquête visant le géant d’internet Amazon, déjà dans le collimateur pour le régime fiscal dont il bénéficie au Luxembourg, et désormais soupçonné par Bruxelles d’abus de position dominante dans la commercialisation des livres numériques.
La Commission craint que certaines clauses signées avec les éditeurs n’entravent la concurrence et ne constituent un abus de position dominante de la part d’Amazon, premier distributeur de livres numériques en Europe grâce à sa liseuse Kindle. Plus précisément, les clauses en question obligent les maisons d’édition à informer Amazon si elles offrent des conditions plus favorables ou différentes à ses concurrents et à lui accorder des conditions analogues ou au moins aussi favorables.
L’enquête, que la Commission a ouverte de sa propre initiative, et non à la suite d’une plainte, se concentrera dans un premier temps sur les livres numériques en langue anglaise et en langue allemande, les principaux marchés d' »e-books » dans l’espace économique européen. « Il est de mon devoir de veiller à ce que les accords conclus par Amazon avec des maisons d’édition ne portent pas préjudice aux consommateurs en empêchant d’autres distributeurs de livres numériques d’innover et d’exercer une concurrence effective vis-à-vis d’Amazon », a expliqué la commissaire européenne chargée de la Concurrence, Margrethe Vestager, dans un communiqué.
Amazon a immédiatement réagi dans un communiqué, se disant « confiant que ses accords avec les éditeurs sont légaux et dans le meilleur intérêt des lecteurs ». « Nous sommes prêts à en faire la démonstration à la Commission dans le cadre de notre coopération pleine et entière » à l’enquête, a ajouté l’entreprise. Amazon est déjà au coeur d’un autre gros dossier de la Commission en matière de concurrence, celui des rescrits fiscaux ou « tax rulings », ces arrangements avec les administrations fiscales qui permettent aux multinationales de pouvoir quasiment échapper à l’impôt.
La Commission soupçonne le géant de la distribution sur internet d’avoir bénéficié au Luxembourg d’un régime fiscal lui apportant des avantages indus. Plusieurs autres multinationales font également l’objet d’enquêtes dans ce dossier : Fiat, Starbucks, Apple ou encore McDonald’s.
Inflexibilité
Après l’ouverture de cette enquête, le géant de Seattle a annoncé qu’il déclarerait désormais ses revenus dans quatre grands pays européens, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, puis prochainement la France, et non plus au Luxembourg.
La Commission a aussi lancé en mars une vaste enquête sectorielle sur les pratiques anticoncurrentielles dans le secteur du commerce électronique au sein de l’UE, pour tenter d’identifier les obstacles au commerce transfrontalier érigés par les entreprises. Cette enquête concernera autant les biens que les contenus numériques, ce qui place Amazon, tout comme Google, en première ligne.
Margrethe Vestager, en poste depuis novembre 2014, s’est bâtie en très peu de temps une réputation d’inflexibilité, menaçant d’énormes amendes aussi bien le géant américain d’internet Google que le géant gazier russe Gazprom, accusés eux aussi d’entraves à la concurrence.
L’exécutif bruxellois a déjà enquêté dans le domaine de la distribution de livres numériques ces dernières années. Il ne s’agissait pas alors de soupçons d’abus de position dominante d’un groupe, mais d’entente sur les prix de détail des livres numériques entre Apple et cinq éditeurs internationaux de livres numériques, dont Hachette, HarperCollins et Penguin, pour limiter la concurrence. Les entreprises concernées ont proposé des remèdes en décembre 2012 et juillet 2013, qui ont répondu aux préoccupations du gendarme européen de la concurrence. Les éditeurs s’étaient notamment engagés à ne pas s’entendre avec Apple, l’inventeur de l’iPad, pour fixer les prix des livres numériques.
La Commission rappelle que l’ouverture d’une enquête en matière d’abus de position dominante ne préjuge en rien de son issue, qui n’est soumise à aucun délai légal. Sa durée dépendra de divers éléments, dont la complexité de l’affaire, le degré de coopération de l’entreprise avec la Commission et l’exercice des droits de la défense.
Le Quotidien/AFP