La transition énergétique est nécessaire, « mais nous ne voulons pas de ces pylônes », martèle Hartmut Lindner qui se bat depuis quinze ans contre un projet de ligne à haute tension dans une zone naturelle protégée, à quelques kilomètres de Berlin.
Ce chantier d’envergure prévoit d’installer des lignes d’une capacité de 380 kV, pour remplacer les petits pylônes existants, entre les villes de Bertikow et Neuenhagen, autour de la capitale allemande, sur près de 115 km. Objectif : acheminer l’énergie renouvelable produite par les éoliennes du nord de l’Allemagne jusque dans la région.
Mais le tracé actuel traverse la réserve de biodiversité de Schorfheide-Chorin, près de Berlin, où vivent « des milliers d’espèces d’oiseaux, dont certaines menacées ». La taille de ces pylônes à trois étages « les met en danger », assure Hartmut Lindner, enseignant à la retraite parti en campagne dès 2008 contre ce projet.
Après plusieurs années de consultations publiques et de discussions, le septuagénaire déplore une « absence de réaction » de la part de l’énergéticien 50Hertz, auquel il reproche de n’avoir pas modifié ses plans.
Le chantier a finalement pu partiellement débuter cette année.
Du Nord vers le Sud
Ce différend est révélateur du défi que représente pour l’Allemagne sa transition énergétique menée tambour battant. De plus en plus de riverains s’opposent à l’installation de pylônes électriques près de chez eux, au risque de ralentir la mue vers une énergie décarbornée. Pour atteindre ses objectifs climatiques, le pays doit en effet considérablement élargir son réseau afin de transporter les énergies renouvelables et compenser l’arrêt total, en 2022, du nucléaire et celui à venir des centrales à charbon.
« Le problème est que l’énergie éolienne est produite massivement dans le nord, alors que de nombreux besoins, notamment industriels, sont au sud. Cette électricité doit donc être transportée avec de nouveaux réseaux », explique Dierk Bauknecht, expert à l’institut de recherche Öko-Institut.
Nordlink, Sudlink… le gouvernement allemand a lancé ces dernières années plus d’une centaine de projets de nouvelles lignes électriques, comptabilisant au total « 12 000 kilomètres », selon des chiffres transmis par le ministère de l’Économie.
Un mouvement qui devrait s’accélérer, alors que la nouvelle coalition formée par les sociaux-démocrates, les écologistes et les libéraux, entrée en fonction cette semaine, veut désormais atteindre l’objectif ambitieux de 80 % d’énergies renouvelables dans la production d’électricité d’ici 2030, contre entre 40 et 50 % actuellement.
Trop lent
Mais l’installation de ces nouveaux réseaux est « trop lente », en raison des « procédures » et des « résistances locales », fait remarquer Dirk Bauknecht. Selon une étude réalisée par le comparateur de tarifs énergétiques Check24, le réseau allemand devrait s’élargir, en 2021, de seulement 120 kilomètres de nouvelles lignes, soit un tiers de moins qu’en 2020. Si rien n’est fait pour accélérer le mouvement, l’Allemagne pourrait « rater ses objectifs en termes de transition écologique », estime Dirk Bauknecht.
Pour résoudre ce problème, les autorités ont instauré l’an dernier une procédure simplifiée, en écourtant certaines étapes administratives et limitant les possibilités de recours, dans le cadre de la validation des projets. Mais près de Berlin, les riverains menés par Hartmut Lindner, ont tout de même obtenu cet été, avec l’aide de l’association écologiste Nabu, une victoire judiciaire : l’arrêt momentané en référé de la construction d’un tronçon du projet, situé au nord de la réserve naturelle, en attendant une décision sur le fond, sans doute l’an prochain.
Ils demandent à la justice d’ordonner que la ligne passe ailleurs, ou via « un réseau souterrain », permettant de protéger la biodiversité. Une solution pour le moment refusée par l’entreprise, qui la considère comme trop chère. Contactée par l’AFP, la société 50Hertz n’a pas donné suite.
Dans les champs situés à quelques kilomètres de la maison d’Hartmut Lindner, d’immenses pylônes se dressent désormais. Il continue de se battre pour une zone humide où se regroupent des oiseaux, non loin de là. « Il faut protéger ce lieu unique », plaide-t-il.
AFP/LQ