Face à la concurrence chinoise, jugée déloyale, le géant de l’acier souhaite faire bouger les lignes. Il presse les politiques de défendre l’acier européen et entend améliorer sa compétitivité avec le plan «Action 2020».
L’acier est au cœur du développement infrastructurel du monde, et ce depuis le XIXe siècle. C’est également le cœur de métier d’un géant, ArcelorMittal. Mais dans un monde en plein changement et ultraconcurrentiel, le numéro un mondial de l’acier, dont le siège est au Luxembourg, fait face à une concurrence agressive de la Chine.
La concurrence est, selon les préceptes capitalistes, une bonne chose, à condition que les règles soient les mêmes pour tous les acteurs. Lors d’une matinée d’information qui s’est tenue mercredi à Paris, ArcelorMittal a tenu à souligner que la Chine, premier producteur mondial d’acier, mais également premier consommateur d’acier, ne semble pas «jouer» avec les mêmes règles. En cause, la surcapacité de production de la Chine qui la pousse à tout faire pour écouler son acier, même à prix cassé. Ses sidérurgistes subissent des dettes colossales et son action met en péril ses concurrents européens du fait de la chute des prix de l’acier sur les marchés.
300 millions de tonnes de surplus en Chine
Ce contexte force ArcelorMittal à hausser le ton et à presser les décideurs politiques de prendre des mesures pour pérenniser un secteur qui emploie plus de 300 000 personnes en Europe, dont 83 000 rien que pour ArcelorMittal. On a d’ailleurs coutume de dire qu’un euro généré par l’industrie métallurgique européenne en rapporte six aux acteurs économiques directs et indirects.
David Clarke, responsable de la stratégie et directeur de la technologie (CTO) d’ArcelorMittal, a éclairé la presse européenne sur la situation en Chine : «Pour donner un aperçu de la situation, la Chine a une capacité d’acier de 1 100 milliards de tonnes, alors qu’auparavant elle était de 150 millions de tonnes. La demande en acier en Chine n’a pas suivi la rapide augmentation de la capacité. En 2015, il y avait encore 300 millions de tonnes de surplus dans la capacité de production d’acier dans les aciéries chinoises, ce qui représente deux fois la demande totale européenne en acier par an.»
Insistant sur cette situation intenable des aciéristes chinois, David Clarke a expliqué que «l’acier est une industrie intensivement capitaliste». «En Chine, la consommation d’acier par personne était en augmentation de 20 % au début des années 2000. Sur les dernières années, elle est tombée en dessous des 10 % pour ensuite plonger en zone négative, engendrant de la surcapacité. Il faut également prendre en compte le taux d’utilisation des capacités de production. Dans la sidérurgie moderne, on considère qu’il faut un taux d’utilisation de l’ordre de 80 % afin de protéger les marges et d’assurer une rentabilité pérenne. La Chine est tombée en dessous de ce niveau depuis 2008.»
Pire encore, le spread, c’est-à-dire la différence entre le prix de l’acier et le coût des matières premières brutes (minerai de fer, charbon, coke…), est littéralement en chute en Chine. «Pour rester rentable, le spread doit être assez élevé pour faire face aux coûts fixes et à la variation des coûts des matières premières, le but étant de dégager une marge satisfaisante. En Chine, le spread est passé sous sa valeur historique faisant perdre 30 dollars par tonne aux membres de la CISA (NDLR : l’Association chinoise du fer et de l’acier) en 2015. C’est non gérable en termes de pertes.» Ces propos de David Clarke sous-entendent que Pékin renfloue activement les aciéristes chinois. Les autorités chinoises tentent en outre d’enrayer le mal en essayant de réorganiser les structures de production, ce qui a donné lieu il y a une semaine à la fusion de deux des plus gros aciéristes chinois pour former le numéro deux mondial de l’acier, China Baowu Steel.
Un milliard d’économies par an
ArcelorMittal n’entend pas rester les bras croisés face au comportement du géant asiatique. Impuissant en Chine, le géant de l’acier souhaite mener à bien son nouveau plan stratégique appelé Action 2020, visant à faire un milliard d’euros d’économies par an sur cinq ans, région par région, pour renforcer sa compétitivité. Il s’ajoute à la récente recapitalisation de près de 3 milliards d’euros et à une volonté de réduire sa dette qui se monte actuellement à un peu plus de six milliards d’euros.
«Action 2020 doit nous permettre de progresser et d’atteindre une rentabilité durable, et ce, quelles que soient les conditions de marché, note David Clarke. Nous avons réalisé d’excellents progrès qui se sont traduits par l’amélioration des résultats du groupe sur l’ensemble de l’année. Pour autant, notre priorité reste de développer notre compétitivité et d’intervenir sur les questions de commerce déloyal, et ce, jusqu’à ce que le problème des surcapacités industrielles chinoises soit résolu.»
ArcelorMittal entend également se faire entendre des politiques européens qui ont tardé à voir le danger de la situation chinoise pour l’économie européenne et mondiale dans sa globalité. Le géant de l’acier espère voir l’Union européenne prendre prochainement des mesures de protection contre les exportations d’acier chinois. «Nous ne demandons pas des mesures de protectionnisme. Nous demandons simplement que les règles soient les mêmes pour tout le monde, que les efforts sur les normes environnementales soient les mêmes pour tout le monde. En clair, nous sommes pour une concurrence équitable», a conclu David Clarke.
Si le tableau dressé est assez noir, David Clarke reste tout de même confiant lorsqu’il observe la volonté de Pékin de solutionner une situation intenable et lorsqu’il voit les premières mesures, tardives, de l’Union européenne contre l’acier chinois.
Ainsi, le responsable de la stratégie et directeur de la technologie d’ArcelorMittal a parlé des avancées réalisées en 2016 afin d’améliorer les perspectives d’avenir de l’industrie sidérurgique européenne : «Il y a exactement un an, je présidais une réunion de crise en ma qualité de président d’Eurofer (NDLR : l’association européenne de l’acier). Nous nous trouvions à l’un des moments les plus sombres de l’histoire de l’industrie sidérurgique. Un an plus tard, nous sommes en meilleure position, au moins en ce qui concerne les perspectives à court terme. L’amélioration est en partie due à l’effet des mesures de défense commerciale adoptées par la Commission européenne.»
Jeremy Zabatta, à Paris
Une éclosion fulgurante
L’aciérie moderne a commencé il y a deux siècles et joue depuis un rôle essentiel dans le développement industriel du monde. Tout au long du XXe siècle, ce sont les pays développés qui ont soutenu la croissance de l’acier, alors qu’aujourd’hui, au XXIe siècle, ce sont les pays en développement, et en particulier la Chine, qui portent la demande en acier. Aux yeux du grand public, cela s’est ressenti en Europe dans les années 70 avec la grave crise de la sidérurgie.
Aujourd’hui, c’est la Chine qui semble connaître une crise similaire, impactant l’ensemble des acteurs mondiaux dans un monde où la sidérurgie est devenue mondiale. Le problème de la Chine est sans doute d’avoir réussi à grandir trop vite. Face à cette rapide croissance, le géant asiatique s’est doté très vite de capacités de production d’acier, devenant actuellement un acteur majeur et incontournable dans le domaine, pendant que l’Europe a vu sa demande intérieure diminuer après la période faste de reconstruction d’après-guerre. Au siècle dernier, la consommation d’acier a connu une saturation dans les pays développés, en revanche, la production sidérurgique a plus que doublé en Chine depuis 15 ans.
«Si l’Europe veut des industries totalement propres…»
ArcelorMittal souhaite que l’Europe revoie son modèle de quotas et pénalise l’acier venant de producteurs ne faisant pas d’efforts sur l’environnement.
L’un des principaux reproches envers les autorités formulés par ArcelorMittal est la méthode de l’UE visant à construire une économie plus sobre en émissions de dioxyde de carbone à travers le système d’échange de quotas d’émission. «C’est le plus dur défi auquel nous sommes confrontés», a souligné, mercredi, à Paris, Geert Van Poelvoorde. Le directeur général d’ArcelorMittal Europe – Produits plats explique que la réglementation actuelle «ne tient pas compte des réalités de l’industrie sidérurgique, puisqu’elle a été conçue pour le secteur de l’énergie, qui est un marché régional. Ce système ne fonctionne pas pour l’industrie de l’acier, qui est une industrie mondiale. Si les producteurs européens doivent payer cette taxe sur le carbone, mais si les producteurs, ailleurs dans le monde et exportant en Europe, ne le font pas, cela mettra les producteurs européens en position de désavantage concurrentiel.» Geert Van Poelvoorde a ajouté qu’en outre «ce système ne reconnaît pas le contexte de la fabrication de l’acier». Il précise : «Même si toutes nos activités étaient alimentées par des éoliennes, nous générerions malgré tout des niveaux très importants de CO2, dans la mesure où la majorité de nos émissions de CO2 est générée lorsque le minerai de fer est transformé en acier. Il s’agit d’une réalité chimique incontournable.»
Geert Van Poelvoorde a souligné que le groupe ArcelorMittal comprenait l’importance de la lutte contre le changement climatique. Il en veut pour preuve que la réduction des émissions de carbone a été mise au cœur de la stratégie Action 2020. Mais le CEO d’ArcelorMittal Europe – Produits plats a mis en garde : «Si la législation était adoptée dans sa version actuelle, les conséquences pour l’industrie sidérurgique seraient extrêmement graves.»
Le risque de voir des emplois exportés
Cette législation obligerait ArcelorMittal à diviser par deux son bilan comptable et à réduire ainsi ses investissements environnementaux ou en infrastructures. «Au final, si l’Europe veut des industries totalement propres, nous n’aurons pas d’autre choix que d’exporter l’emploi d’Europe et d’importer le carbone en Europe», a insisté Geert Van Poelvoorde. Une déclaration qui renvoie aux pratiques des sidérurgistes chinois, qui eux ne sont pas soumis aux mêmes normes environnementales que les sites européens mais qui exportent tout de même leur acier sans subir aucune pénalité.
Geert Van Poelvoorde a alors exprimé son inquiétude quant aux propositions législatives mettant en danger la fabrication d’acier en Europe : «Je suis inquiet, car les propositions qui ont été mises sur la table aujourd’hui mettent notre industrie en péril. Nous avons fait des progrès l’an dernier pour mieux faire entendre notre voix, mais il y a encore beaucoup de travail à accomplir pour faire en sorte que l’industrie sidérurgique bénéficie de règles du jeu équitables et d’un cadre réglementaire adapté. Chez ArcelorMittal, nous avons mobilisé toutes nos énergies pour améliorer notre compétitivité afin d’avoir des exploitations sidérurgiques durables en Europe. Nous restons absolument déterminés à atteindre cet objectif et à maintenir notre position de numéro un mondial de l’exploitation sidérurgique et minière.»