« On a l’impression d’être tenus responsables de tout »: Laurent Tubau, propriétaire d’un restaurant sur le Vieux-Port à Marseille, exprimait lundi sa « déprime » au premier jour d’une fermeture totale imposée dans la deuxième ville de France pour lutter contre la propagation du Covid-19.
Quai du Port, sous un soleil timide et une fraîcheur inhabituelle pour la saison dans cette ville méditerranéenne, l’enfilade de bars et restaurants avec vue sur les bateaux et la « Bonne-Mère » n’est qu’une succession de rideaux tirés, rappelant les scènes du confinement des mois de mars à mai.
Au-dessus d’un restaurant fermé, une banderole flotte: « Stop à la dictature sanitaire ». Marseille et Aix-en-Provence sont les deux seules villes de France où le gouvernement a décidé d’une fermeture complète durant quinze jours.
Dans beaucoup d’établissements, on s’agite quand même en coulisses. « On en profite pour expédier les affaires courantes, la compta, quelques bricolages qu’on remettait à plus tard », explique Laurent Tubau, propriétaire de « L’Hippocampe ».
Chez son voisin, le « Miramar » connu pour sa bouillabaisse, un homme repeint la terrasse de rouge; chez le glacier « Häagen-Dazs », on répare les stores.
« On espère que ce ne sera que deux semaines », glisse M. Tubau, « parce qu’on a déjà perdu 80% de notre chiffre d’affaires cette année ».
Le patron se sent stigmatisé par cette fermeture totale « alors qu’on avait fait d’énormes efforts et réduit de 76 à 32 le nombre de couverts en terrasse ».
Il a décidé de payer intégralement les salaires de ses onze salariés, « des pères de famille qui ont des crédits à rembourser », sans attendre l’aide du gouvernement.
Ouvert
A quelques mètres de là, un patron fait de la résistance: Joseph Contcheyan s’active au comptoir de son restaurant « Le Collins », bien ouvert, des moules-frites au menu.
« Le Covid ne vient pas des restos ni des bars », assure-t-il, « d’autant qu’en septembre on n’a eu personne, il n’y a ni les croisiéristes ni le troisième âge cette année ».
« Si ça continue on va fermer, il y aura des faillites », prédit-il. « C’est injuste, pourquoi on ne nous a pas fermé juste le soir comme à Paris? », tempête-t-il.
A Paris comme à Nice, Lille, Lyon ou Bordeaux, bars et restaurants devront rester fermés de 22H00 à 06H00 à partir de lundi. Dans les Bouches-du-Rhône, 15 communes sont aussi soumises à ces horaires, dont La Ciotat, Arles ou Martigues.
Attablé à la terrasse du Collins comme une dizaine d’autres clients, Djamel Derouiche prend son café comme « un acte de solidarité ».
« Je ne pense pas que ce sont des réfractaires mais des gens qui ont des responsabilités, des familles et des employés à nourrir », assure ce directeur hôtelier.
Dans les rues du quartier pittoresque du Panier, juste derrière le Vieux-Port, un panneau indique « ON EST OUVERTS!!! » devant la sandwicherie « Chez Fanny ».
« On a préparé un peu plus que d’habitude comme les restaurants sont fermés, mais on ne sait pas trop à quoi s’attendre », souffle une employée, préférant rester anonyme.
Chez « Sushi room », le directeur, Ainagi Nugermaiti, n’a même pas pris le temps de relever les tables et les chaises de son petit établissement, tant les commandes à emporter et à livrer affluent.
Deux étudiantes patientent exaspérées par les restrictions sanitaires: « On va devoir manger chez nous, on multiplie les allers-retours », proteste Valéria Bashak, 21 ans.
« On en fait trop, on ne risque rien au restaurant, alors qu’on est 300 par amphi! Les étudiants on se retrouve quand même le soir, on fait la fête dans des petits appartements, c’est pire que dans les bars », explique-t-elle.
M. Nugermaiti, qui calcule à 60% la perte que représente la fin du service en salle, n’a pas le même discours: « 2020 c’est une année galère mais on comprend qu’il faut limiter la propagation du virus, alors on s’y plie ».
Marseille a été placée en zone « d’alerte maximale » par le gouvernement, à l’instar de la Guadeloupe. Sur les sept derniers jours, 4.204 nouvelles hospitalisations ont été enregistrées en France, dont 786 cas graves en réanimation.
Plusieurs chefs de service des hôpitaux de Marseille ont cosigné une tribune publiée lundi dans le quotidien La Provence. Ils assurent que le taux d’occupation des différents services de réanimation « dépasse la côte d’alerte » et que ces lits ne sont « plus disponibles pour accueillir des patients atteints d’autres affections graves ».
AFP