Au milieu de ses champs, Elena Sampson balaye du regard ses 1.200 oliviers baignés par un soleil de novembre encore chaud à Chypre. Mais la récolte aura été famélique cette année: la quasi-totalité des fleurs ont grillé sous une canicule précoce en mai.
« La vague de chaleur nous a frappés pile au moment où les oliviers étaient en fleurs », raconte cette Chypriote de 38 ans, qui fait pousser 2.500 arbres, principalement des oliviers mais aussi des agrumes, sur un terrain à Akaki, à une vingtaine de kilomètres de la capitale Nicosie.
« On a arrosé, arrosé, mais on n’a pas pu sauver les fleurs », déplore-t-elle en montrant ses arbres dénués du moindre fruit et dont elle s’occupe avec l’aide d’un agriculteur retraité.
Sur le gros millier d’oliviers qu’elle cultive, « une quarantaine seulement » a donné des fruits cette année. « Rien du tout », soupire l’arboricultrice.
Produite depuis des millénaires, l’olive constitue la plus vaste culture de l’île du sud-est de la Méditerranée : près de 11 000 hectares y sont dédiés, selon l’agence des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO).
En 2018, plus de 19.000 tonnes d’olives ont été produites.
Mais l’oléiculture chypriote, tout comme d’autres cultures, est menacée par le changement climatique, explique Adriana Bruggeman, professeure au Cyprus Institute.
Les années de sécheresse, toujours « plus nombreuses », mais aussi « la hausse des températures et les vagues de chaleur (…) affectent la floraison, la formation et le mûrissement du fruit », explique-t-elle.
Si l’arbre méditerranéen n’est pas particulièrement gourmand en eau, « il en faut au moins pendant la période de floraison » printanière, relève Elena Sampson.
Avec le changement climatique, certaines régions de Chypre au climat semi-aride vont devenir arides d’ici 2050, explique Mme Bruggeman, renforçant encore le stress hydrique.
Selon les données officielles, la pluviométrie à Chypre est en moyenne de 470 mm par an depuis 1971. C’est beaucoup moins qu’entre 1902 et 1970, où elle atteignait 540 mm.
A la rareté des précipitations s’ajoutent les chaleurs écrasantes, et surtout précoces, qui grignotent toujours plus les courts printemps.
Cette année, les 40 degrés ont été atteints dès mi-mai sur l’île puis ont constitué la norme en juillet, août et septembre –les trois mois d’été les plus chauds de l’histoire de la météorologie chypriote.
Pratiques intensives
« On sait que le changement climatique va rendre la région plus chaude et plus sèche. On doit s’adapter (…) pour rendre nos écosystèmes agricoles et semi-naturels plus résilients », fait valoir Mme Bruggeman.
S’adapter, c’est ce que tente de faire Elena Sampson depuis qu’elle a repris l’exploitation familiale il y a deux ans, notamment en améliorant la « qualité des sols ».
« Avec un sol en bonne santé, on a moins d’érosion et plus de rétention d’eau dans la terre, on peut ainsi essayer de combattre les sécheresses », affirme la cultivatrice, qui se forme sur le tas après des études de géographie, entre autres.
Selon un rapport officiel publié fin 2016, 43% du territoire chypriote est en danger « critique » de désertification. Et ce taux pourrait grimper à 52% d’ici le milieu du siècle, d’après l’étude qui s’appuie sur le scénario le plus pessimiste du Giec, les experts climat de l’ONU.
Pour améliorer ses sols, malmenés par le climat et par des années de pratiques agricoles intensives, Mme Sampson ne manque pas d’idées: elle n’utilise plus de pesticides et réfléchit notamment aux plantes à faire pousser entre ses arbres pour les aider à grandir.
La productrice de fruits évite le labourage, qui rend la terre vulnérable à l’érosion et libère le CO2 capté, et a mis en place un système d’arrosage « goutte à goutte », moins gourmand en eau, qui prend en compte la taille des oliviers. De quoi offrir un avenir à cette culture?
« En changeant les pratiques, (…) on pourrait améliorer la productivité de la terre », confirme Mme Bruggeman.
Elena Sampson, qui écoule à ce jour sa production uniquement à Nicosie et aux alentours, espère bien voir son exploitation devenir un exemple d’alternative aux méthodes agricoles dominantes.
« Je pense que c’est possible, et je veux faire partie du changement », assure-t-elle.
AFP