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MSF Luxembourg sur la Syrie : « Cela dépasse tout ce qu’on a déjà vu »


Faute d'hôpitaux, des bureaux sont reconvertis en salle d'opération, et les médecins de MSF opèrent des blessés au milieu d'une mare de sang (photo MSF)

C’est le pays où l’urgence humanitaire est la plus forte : le président de MSF Luxembourg, Paul Delaunois, raconte le chaos syrien et en particulier l’acharnement insensé contre les humanitaires.

Des villes de la taille d’Esch-sur-Alzette vidées de leurs habitants, des médecins et des malades bombardés, une absence de réponse internationale: Paul Delaunois tire la sonnette d’alarme pour la Syrie. Mais qui veut l’entendre?

« J’ai appris il y a deux heures qu’un de nos hôpitaux vient encore d’être bombardé (lire l’encadré ci-dessous) . C’est le quatrième détruit en quelques semaines », réagissait lundi, consterné, le directeur général de Médecins sans frontières (MSF) Luxembourg. « Vous voyez à quel point la situation est particulièrement difficile, ajoute-t-il. Ce n’est pas pour rien que la majorité de nos structures opèrent clandestinement. »

Paul Delaunois ne pouvait trouver pire exemple pour illustrer l’ampleur du désastre humanitaire en Syrie. Le conflit entre dans sa sixième année, et pourtant, ce genre d’attaque contre des dispositifs sanitaires demeure la norme. Jusqu’à l’absurde : « Il arrive qu’après un bombardement, les secours arrivent et qu’ils soient la cible d’un deuxième bombardement qui les vise directement. »

« Le système de santé s’est effondré »

Le régime de Damas, appuyé depuis quelques mois par l’aviation russe, attaque en effet les zones abritant les forces rebelles, avec un acharnement tout particulier contre des dispositifs de santé à l’agonie : « Avant, l’espérance de vie était de 70 ans en Syrie, le système de santé fonctionnait… Tout ça s’est effondré. L’armée gouvernementale cible les structures médicales et les médecins qui ne sont plus sous son contrôle. »

Avant le conflit, la Syrie comptait environ 22 millions d’habitants. Aujourd’hui, près de 11 millions sont en fuite et 13,5 millions ont besoin d’aide humanitaire. Depuis plusieurs mois, l’ONU n’a plus les moyens de compter les victimes du régime. Le décompte macabre s’est arrêté à 260 000 personnes, au bas mot. « C’est l’endroit dans le monde où l’intervention humanitaire est la plus urgente. Mais l’accès au conflit est tellement difficile que les moyens déployés sont dérisoires. »

« 100 décès par semaine, c’est effroyable »

Beaucoup d’ONG ont dû fuir. Les médecins sans frontières, eux, gèrent toujours six structures hospitalières, la plupart dans le Nord. « C’est trop peu par rapport aux besoins. On y enregistre 100 décès par semaine, c’est effroyable. » Et pourtant, ces médecins ne sont pas des enfants de chœur : « On a l’habitude de travailler dans des situations de guerre. Mais là, ça dépasse tout ce qu’on a déjà vu. »

Depuis 2011, MSF demande au gouvernement de Damas de pouvoir aider les blessés, sans succès. Les médecins qui opèrent sur place sont syriens. Y envoyer des humanitaires étrangers serait suicidaire : « On n’envoie plus d’expatriés sur le terrain, ils œuvrent de l’autre côté de la frontière, par exemple en Turquie. »

«On est dans le cynisme de guerre le plus total»

Reste la problématique des zones assiégées. Entre 1,5 et 2 millions de Syriens y sont enfermés. À Madaya, une ville dans le nord du pays, c’est l’équivalent de la ville de Dudelange qui est ainsi retenue captive et subit bombardements et restrictions. « Il y a zéro médecin pour 20 000 habitants. Les enfants et les personnes les plus fragiles meurent en premier, de faim, de maladie… »

Il cite également un déplacement massif de population dans le nord du pays, à Azaz, une zone fortement bombardée, où 35 000 personnes, soit l’équivalent de la population d’Esch-sur-Alzette, fuient les combats intenses et attendent à la frontière turque pour y trouver refuge. « Les gens survivent sans abri, exposés au gel, aux intempéries… »

Ce sont deux exemples. Mais « il y en a beaucoup d’autres, sans qu’il y ait pourtant la moindre mobilisation de la communauté internationale. On est dans le cynisme de guerre le plus total. Pourtant, les puissances étrangères sont en capacité d’amener une aide humanitaire massive. »

« Le pire est l’absence d’espoir »

Il n’épargne pas l’Europe : « L’Union européenne dysfonctionne complètement, aussi bien dans son traitement du conflit que dans l’accueil humanitaire des réfugiés. »

Et ce n’est pas la fragilité du cessez-le-feu décidé la semaine dernière à Munich qui le rassure. « Mais le pire est l’absence d’espoir donné aux populations », conclut Paul Delaunois, martelant « qu’il n’y a plus de temps à perdre » pour aider ces femmes, ces enfants, ces hommes qui fuient les combats pour sauver leur vie.

Romain Van Dyck

Hôpitaux et écoles encore visés

 

Des tirs de missiles ont «tué près de 50  civils, dont des enfants, et fait de nombreux blessés» dans «au moins» cinq établissements médicaux et deux écoles à Alep et Idlib (nord de la Syrie), a affirmé, lundi, l’ONU. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, considère ces attaques comme « des violations flagrantes du droit international », a ajouté le porte-parole adjoint des Nations unies, Farhan Haq. Pour Ban, a-t-il ajouté, ces attaques –  qui ont touché notamment un hôpital soutenu par Médecins sans frontières  – « jettent une ombre sur les engagements pris par le Groupe de soutien international à la Syrie » lors de la récente réunion de Munich, en Allemagne.

Les protagonistes du conflit syrien, dont la Russie et les États-Unis, avaient conclu à la nécessité d’établir un cessez-le-feu et d’accélérer la livraison de l’aide humanitaire. « Il faut traduire ces engagements en actes », a affirmé le porte-parole. Il n’a pas attribué la responsabilité des tirs de missiles mais une ONG syrienne avait auparavant estimé qu’ils étaient «probablement russes». MSF a annoncé de son côté que sept personnes au moins avaient été tuées et que huit autres étaient portées disparues à la suite du tir contre l’hôpital syrien qu’il soutient dans la région de Maaret al-Noomane, à 280  km au nord de Damas.

L’ambassadeur de Syrie à Moscou a accusé, lundi, l’aviation américaine d’avoir «détruit» l’hôpital soutenu par MSF, rejetant les accusations de Washington.

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