Le nombre de consultations dans les centres d’accueil de Médecins du monde Luxembourg a connu une nette augmentation. Visite dans son principal centre médical au 30 Dernier Sol, à Luxembourg-Bonnevoie.
Depuis 2014, Médecins du monde intervient au Luxembourg afin de faciliter l’accès aux soins aux plus démunis. L’organisation a commencé ses permanences au foyer Esperanza à Bonnevoie, un lieu d’accueil pour sans-abri. En 2015, elle a ouvert son centre médical à Esch-sur-Alzette. Et depuis juin 2016, les équipes bénévoles offrent aussi trois fois par semaine des consultations gratuites dans son centre à Bonnevoie.
Monsieur, il faut que vous vous inscriviez, sinon vous ne pourrez pas avoir de consultation. Vous avez une carte d’identité?» «Madame, votre tour c’est dans un quart d’heure.» Il est 18 h. Les portes du principal centre médical de Médecins du monde Luxembourg, au 30 Dernier Sol à Bonnevoie, en face du foyer Ulysse, viennent à peine de s’ouvrir. Plusieurs femmes et hommes s’installent dans la salle d’attente. Sur une table, les bénévoles leur ont préparé une corbeille de fruits frais.
C’est la première fois que Nuria* se présente chez Médecins du monde à Bonnevoie. D’origine marocaine, la jeune femme de 32 ans, accompagnée d’une interprète, explique être arrivée au Grand-Duché, il y a deux semaines. Déjà à Strasbourg, elle a consulté Médecins du monde. «Une dame m’avait amenée là-bas», se souvient-elle. Car sans permis de séjour, elle n’a pas accès au système de santé. C’est de nouveau le bouche à oreille qui l’a conduite à la permanence de soins, mercredi soir. «J’ai des problèmes de varices et de dents. Je ressens aussi une gêne respiratoire», indique-t-elle.
«C’est gratifiant ce qu’on fait ici»
Pendant que Nuria attend son tour, un autre patient est pris en charge par Jean-Marc : «Comment vous sentez-vous? Est-ce que vous avez des amis en Ville?» Jean-Marc est l’un des bénévoles qui s’occupe de l’accueil social au centre de soins. Avec les patients, il remplit un questionnaire pour connaître leur situation, pourquoi ils ne disposent pas de carte CNS, où ils sont logés… Depuis janvier, il enfile une soirée par semaine, après son travail, sa veste de bénévole : «Je savais qu’il y avait de la précarité, mais pas qu’il y avait une telle exclusion. Pas de carte CNS, pas de soins», résume-t-il. «Le Luxembourg est tellement aseptisé. On peut tout à fait passer à côté de cette précarité», poursuit-il. Lors des entretiens avec les personnes en souffrance, Jean-Marc jongle avec les langues. «Ce qui est énorme avec ce qu’on fait ici, c’est que c’est gratifiant, nous glisse-t-il. Au fil de ses heures de bénévolat, il a déjà vu plus d’une larme de joie couler. La plupart des personnes reviennent. Car elles ont besoin de leur traitement. On ne leur donne pas toute la boîte. Par la médication, un lien se crée.»
«Pas de travail, pas d’argent»
Retour du côté des patients. Un jeune homme franchit la porte avec ses béquilles : «C’est le genou, je ne peux pas m’asseoir.» Dans une salle à côté, la consultation de Hans* est sur le point de se terminer. L’infirmière Catherine lui prend la tension et lui remet ses médicaments : «Voici votre spray à appliquer deux fois par jour sur vos pieds. Pensez bien à chaque fois à vous laver les pieds avant et à les sécher.»
«Pas de travail, pas d’argent», nous confie Hans en deux mots. D’origine hongroise, le sexagénaire vit depuis plusieurs années à Luxembourg. Actuellement il a un lit à la Croix-Rouge. Il consulte régulièrement Médecins du monde pour ses problèmes de diabète, de cœur et de pieds.
«Comme un cabinet de médecine générale»
Les consultations au centre médical de Bonnevoie sont assurées par un médecin généraliste bénévole. Mais pour désengorger le flux, une infirmière lui donne régulièrement un coup de main. «C’est comme dans un cabinet de médecine générale, avec en hiver une recrudescence des infections respiratoires (rhume, grippe, etc.), observe Catherine. En raison des conditions d’hygiène, on voit aussi beaucoup de mycoses. Souvent les sans-abri gardent leurs chaussures pendant la nuit pour qu’on ne les leur vole pas. On rencontre aussi beaucoup de souffrances à cause des dents.»
«Les permanences pour les soins dentaires ont lieu au CHL grâce au soutien de cet établissement public et du ministère de la Santé», précise Sylvie, la chargée de direction de l’organisation. C’est le mercredi soir. On a cinq dentistes bénévoles. Et là c’est pareil, cela ne désemplit pas. La demande est énorme. Ce sont des cas extrêmes avec des bouches où il n’y a plus de dents.»
Actuellement Médecins du monde compte plus de 70 bénévoles (médecins généralistes et spécialisés, infirmières, traducteurs…) actifs au Luxembourg. Mais tous ne travaillent pas dans le milieu médical, à l’exemple de Jean-Marc. Daphne, qui vient de terminer son bachelor en psychologie, a rejoint l’équipe il y a deux semaines. Elle aussi s’est déjà occupée de l’accueil. «Il arrive que les personnes soient un peu impatientes. Beaucoup viennent de Roumanie et ont habité aussi en Espagne. Quand elles se rendent compte que je parle espagnol, elles sont très contentes et veulent parler de tout», relate-t-elle.
«Les personnes ont besoin de parler»
Il est 19 h 15, la salle d’attente ne désemplit pas. «Une consultation peut facilement prendre une demi-heure. Les personnes ont besoin de parler», appuie Sylvie. Depuis juin 2016, on donne des soins trois fois par semaine dans notre centre à Bonnevoie. La salle d’attente est tout le temps remplie.» «On a aussi des psychologues. Quand on vit dans la rue, c’est difficile de garder la tête froide», ajoute-t-elle.
En 2016, l’association a offert 1 261 consultations de soins de santé dans ses centres à Luxembourg et à Esch-sur-Alzette. En tout, ce sont 620 patients qui se sont présentés. En 2017, le nombre de consultations continue à augmenter. Depuis le début de l’année, Médecins du monde en a ainsi déjà effectué près de 1 200.
Fabienne Armborst
* Prénoms d’emprunt.
benevole@medecinsdumonde.lu
Les soins, c’est pour qui?
Le principal obstacle pour avoir accès au système de santé au Luxembourg, c’est l’adresse. Sans adresse officielle, vous n’avez pas de carte CNS», récapitule Sylvie Martin, chargée de direction à Médecins du monde Luxembourg. Les bénévoles de l’organisation ne soignent pas seulement des sans-abri, mais aussi des Luxembourgeois qui ont perdu leur couverture maladie. «Souvent, ils se sont retrouvés au RMG après avoir perdu leur logement et ainsi de suite, illustre-t-elle. On a aussi des personnes qui ont une carte CNS, mais qui sont en très grande précarité. Notre objectif n’est pas de les soigner tout le temps. Pour ces personnes, on a développé un volet d’orientation sociale. Nos assistants sociaux vont les aider à retrouver accès à leurs droits sociaux.» Enfin, les bénévoles soignent les personnes en situation irrégulière au Luxembourg : «Elles ne viennent pas forcément de très loin. Il y a beaucoup de citoyens de l’UE qui viennent au Luxembourg. On a le droit de rester trois mois et si après on ne peut pas prouver qu’on a des ressources financières suffisantes, on doit repartir. Or ce sont des personnes qui ont de la famille, des amis… au Luxembourg. Donc elles restent quand même et essaient de trouver un travail. En attendant, elles n’ont toutefois pas de protection sociale.»
Une campagne qui interpelle
«Luxembourg. Revenu mensuel de 5 370 euros par habitant. Pas pour Paul.» Voilà les mots qu’on retrouve sur l’une des trois affiches montrant un sans-abri sous une arche. La campagne de Médecins du monde, lancée en début de semaine, a déjà suscité pas mal de réactions, entre autres sur les réseaux sociaux.
Via sa première campagne d’appel aux dons, l’organisation compte sensibiliser à l’accès aux soins de santé des personnes vivant dans la précarité au Luxembourg. «L’idée de la campagne est de provoquer une prise de conscience que la richesse n’est pas partagée par tous, soulève sa chargée de direction, Sylvie Martin. La campagne reprend des faits qui sont connus du Luxembourg : son revenu moyen par habitant, le fait que c’est le deuxième pays le plus riche du monde ou le deuxième centre mondial de fonds d’investissement. On les confronte à une réalité à laquelle on fait face tous les jours dans nos consultations : aussi au Luxembourg il y a de la précarité qui fait que les gens n’ont pas accès aux soins de santé.»
«Si on avait montré une personne sans abri en disant « aidez Paul », on aurait vu l’affiche et c’est tout», ajoute Sylvie Martin. En 2016, le financement des activités de Médecins du monde a été assuré à près de 90 % grâce aux dons.
L’organisation espère que la prise en charge par l’État des personnes malades et en précarité sera élargie. Elle cite des systèmes de santé plus inclusifs dans nos pays voisins qui pourraient être mis en place au Grand-Duché pour les personnes sans adresse : «En Belgique il y a l’Aide médicale urgente (AMU) qui est destinée aux étrangers en séjour illégal. En France, pour les étrangers en situation irrégulière, il y a l’Aide médicale de l’État (AME).»